La privatisation des Sociétés et Etréprises d'Etat au Mali.

Parlant du secteur d’Etat au Mali il est bon de rappeler les conditions historiques de sa naissance.
Après la proclamation de l’indépendance du Mali en septembre 1960 à la suite de l’éclatement de la fédération du Mali (groupant le Sénégal et le Soudan) de nombreuses prient la place des maisons et sociétés commerciales coloniales rentrées en France.
Dans l’esprit des dirigeants de l’époque, la souveraineté était inconcevable sans la maitrise de tous les domaines de la vie nationale tels que l’armée, la monnaie, les institutions économiques et sociales. Car c’est ce qui permet de mettre le pays au travail et de satisfaire les besoins fondamentaux des populations. La non réalisation de ces objectifs constitue un acte anti-patriotique qui maintient le pays sous la domination du système capitaliste.
Le gouvernement de l’US.RDA ne voulait pas reproduire le modèle capitaliste en vigueur dans la plupart des pays limitrophes.
Les S.E.E couvrirent presque tous les domaines de l’activité économique et sociale du Mali et constituèrent autant d’éléments de fierté pour le peuple.
Aujourd’hui la plupart de ces Sociétés et Entreprises d’Etat ont disparu ou sont en voie de disparition. Beaucoup parmi les enfants de notre pays et notamment la jeunesse ne sait pas qu’avant le coup d’Etat du 19 Novembre 1968, on fabriquait des postes radio, du sucre, des tissus, des cigarettes, du ciment et bien d’autres produits de première nécessité dans des sociétés appartenant a l’Etat Malien et employant des milliers de travailleurs .
Le régime de Moussa Traoré s’est acharné durant 23 ans à démanteler, détruire, dilapider, saccager, liquider, brader les Sociétés et Entreprises d’Etat au nom d’une scandaleuse politique dite le redressement économique ou d’Ajustement structurel.
D’une façon générale ces unités tout comme du reste celles qui ont déjà fait l’objet de dissolution, ou celles existent encore de nos jours quel que soit leur statut juridique (mixte ou Etatique) répondaient donc a une certaine orientation politique clairement définie.
Avec la prétendue libéralisation économique, les Sociétés et Entreprises d’Etat étaient désormais livrées à elles-mêmes et devraient par leurs propres moyens soutenir une concurrence déloyale face à des privés qui n’ont pas de charges sociales importantes et qui, souvent n’hésitent pas à contourner délibérément nos lois et règlements.
Sous la première République, les différents Directeurs étaient parvenus à bien gérer leurs sociétés qui avaient ainsi connu un démarrage heureux et même une certaine prospérité contrairement aux Directeurs qui leur ont succédé et qui ont pour la plupart brillé par leur mauvaise gestion et les détournements de biens publics. En fait ils étaient surtout guidés par le souci de se faire la poche. Certains d’entre eux, après leur passage à la tête des Sociétés et Entreprises d’Etat, se sont installés dans le privé et mènent aujourd’hui des activités très fructueuses parfois dans le même domaine d’activité que la société ou l’entreprise d’Etat qu’ils ont jadis dirigée, lui livrant une concurrence déloyale après l’avoir menée au bord du gouffre.
Hier mauvais gestionnaire à la tête des Sociétés et Entreprises d’Etat ils sont aujourd’hui très bons gestionnaires à la tête de leur propre entreprise.
La Compagnie Malienne du Développement des Textiles (C.M.D.T) est le fruit du processus de nationalisation de la C.F.D.T qui était une entreprise Française. Elle devint C.M.D.T (Société mixte) sous la première république pour gérer la filière coton, selon un processus qui a abouti en 1974. Elle possédait plusieurs sites de production à travers le pays (Koutiala, Fana, Koumantou, Kita, Ouéléssébougou).
La Compagnie Malienne du Développement des Textiles appartient pour 98% à l’Etat malien et pour 2% au Géo-coton.
La privatisation totale de la Compagnie Malienne du Développement des Textiles exigée par le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale a été programmée pour l’année 2008.
Elle emploie 2.300 travailleurs permanents et 2.800 saisonniers et sa zone d’encadrement couvre 5.400 villages (plus de 170.000 exploitants). La Compagnie Malienne du Développement des Textiles a inauguré le 18 juin 2005 une nouvelle usine d’égrenage, d’une capacité de 230 tonnes/jour à Ouéléssébougou, dans la zone Office de la haute vallée du Niger (OHVN). Avec cette nouvelle usine, la Compagnie Malienne du Développement des Textiles atteint une capacité totale d’égrenage de 575.000 tonnes de fibre/an.
La graine de coton tout en servant de semence est aussi transformée dans les huileries pour servir d’huile alimentaire, de savon, d’aliment bétail et d’aliment volaille. La tige du cotonnier est utilisée pour produire du fumier organique, du charbon, de la pâte à papier et des contre-plaqués.
Les objectifs de la Compagnie Malienne du Développement des Textiles :
Le développement global de la région,
La formation et l’organisation du monde rural,
Le développement de la production agricole (surtout celle du coton),
Le désenclavement de la zone,
La commercialisation de la production,
L’organisation des sous-filières.
Les domaines d’interventions de la Compagnie Malienne du Développement des Textiles :
La société intervient dans cinq (5) domaines qui sont :
1 – Le domaine de la production végétale : encadrement de la culture de coton mais aussi du mil, du sorgho, du maïs, de l’arachide, du riz, du haricot, du sésame, du pois sucré ; arboriculture.
2 – Le domaine de la production animale : cultures fourragères, insémination artificielle, embouche bovine et ovine, élevage de volailles améliorées, (résultant d’un croisement entre des volailles européennes et locales), apiculture sur le modèle des ruches kenyanes.
3 – La gestion des espaces ruraux : lutte contre l’érosion des sols, reboisements, construction des foyers améliorés et des pare-feux.
Dans le cadre de ce projet, des campagnes de sensibilisation à l’environnement sont menées dans de nombreux villages. Ainsi, les agriculteurs prennent peu à peu conscience des risques de la déforestation, et une équipe de la Compagnie Malienne du Développement des Textiles les appuie dans chaque village.
4 – La gestion des modes de production : fourniture d’intrants (herbicides, engrais) aux agriculteurs. Cette aide est effectuée sous forme de prêts de la Compagnie Malienne du Développement des Textiles, récupérés lors de la commercialisation des cultures.
5 – La formation et l’organisation du monde rural : sessions de 45 jours organisées pour former des artisans, aide à la création d’associations professionnelles, C’est dans ce cadre que la Compagnie Malienne du Développement des Textiles a initié le projet de biogaz.
En 2003, avec la crise, il avait été demandé à la Compagnie Malienne du Développement des Textiles de recentrer ses activités sur le coton. Ce recentrage a été demandé par les bailleurs de fonds et il est préjudiciable à la population.
La commission des finances de l’économie, du plan et de la promotion du secteur privé est saisie au fond pour l’examen du dépôt 08-24-/IVEL, objet du projet de loi autorisant la session des actions de l’Etat dans le capital de la Compagnie Malienne du Développement des Textiles.
Ce projet de loi initié par le Ministère des finances, a été adopté par le conseil des ministres en sa séance du 28 Mai 2008 et transmis au bureau de l’Assemblé Nationale, suivant la lettre № 22/PRIM-SGG du 04 juin 2008 du Premier ministre.
Le 1er août 2008, le gouvernement de la république du Mali a soumis à l’Assemblé Nationale le projet de loi portant sur la privatisation de la Compagnie Malienne du Développement des Textiles.
Exploitant leur majorité mécanique, les députés de la mouvance présidentielle ont voté cette loi sans se soucier des implications économiques et sociales que cet acte comporte pour le peuple Malien, qui n’a pas été consulté sur cette question cruciale de privatisation.
Cette forme de privatisation n’est que du bradage pratiqué par les prédateurs de nos richesses. Elle relève de façon incontestable d’une relation entre dominants et dominés qui ne pouvait intervenir que par la forte pression exercée sur les représentants du peuple Malien par la Banque mondiale, les institutions de Bretton Woods lesquelles ont imposé des Programme d’Ajustement Structurel depuis les années 1980 en Afrique .C’est dans ce contexte que la Banque Mondiale a envoyé une lettre officielle datant du 11 juillet 2008 imposa aux autorités Maliennes la liquidation de la Compagnie Malienne du Développement des Textiles au plus tard le 30 juillet 2008.
L’Etat dans sa tentative de privatiser le géant du coton Malien a fait voter par l’Assemblé Nationale une loi qui autorise à céder tout ou partie du capital social de la Compagnie Malienne du Développement des Textiles.
Le schéma de privatisation de la Compagnie Malienne du Développement des Textiles a été arrêté par le conseil de gouvernement du 04 Octobre 2006.
L’Etat envisage la création par la Compagnie Malienne du Développement des Textiles de quatre sociétés qui auront chacune le monopole de certaines activités actuellement menées par le géant du coton Malien.
Dans un premier temps, la zone d’intervention actuelle de la Compagnie Malienne du Développement des Textiles sera subdivisée en quatre. La Compagnie Malienne du Développement des Textiles a déjà crée quatre sociétés anonymes au capital de dix millions (10.000.000 FCFA) : «Ces sociétés dont le capital est détenu à 100% par la Compagnie Malienne du Développement des Textiles sont donc les filiales de celle-ci»
- La Filiale Nord –Est (Région C.M.D.T Koutiala et San),
- la filiale Sud (Région C.M.D.T Bougouni et Sikasso),
- la filiale centre (Région C.M.D.T fana et zone OHVM),
- et la filiale Ouest (Région C.M.D.T Kita).
Dans un second temps, chacune des filiales prendra la relève de la Compagnie Malienne du Développement des Textiles qui transférera à chacune d’elles une partie de ses actifs et passifs.
L’Etat Malien procédera à la privatisation de ces filiales en vendant les actions à d’autres actionnaires selon le schéma suivant :
- 61% à un operateur privé de référence ou partenaire stratégiques ;
- 20% au producteur du coton ;
- 17% à l’Etat
- et 2% aux travailleurs des sociétés.
A la fin des opérations de privatisation de la société Compagnie Malienne du Développement des Textiles sera liquidée à travers la signature du décret fixant l’application de cette loi.
Pour conclure Le gouvernement Malien a présenté à l’Assemblé Nationale un projet de loi pour argumenter un désengagement de l’Etat, qui ne préserve point la pérennité de la Compagnie Malienne du Développement des Textiles ni la solidarité que la nation toute entière doit aux coton-culteurs qui ont porté l’économie du pays à bout de bras pendant des décennies.
L’étude du schéma de privatisation de la Compagnie Malienne du Développement des Textiles nous amène à penser que :
- L’élément constitutif de filialisation de la Compagnie Malienne du Développement des Textiles n’est rien d’autre qu’un mécanisme de morcellement politique des zones d’influence et d’exploitation dont le capital est exclusivement réservé aux entreprises privées étrangères.
- Les missions de gestion des intrants agricoles, d’entretien et de réparation des routes, pistes connues du domaine de l’Etat dans le cadre de cette dénationalisation, seront délaissées ou cédés aux privés.
- A la fin de ce processus le nombre de travailleurs à licencier est d’environ 352 dont 115 à Bamako et 237 dans les régions.
- Les conséquences désastreuses seront importantes et nombreuses sur l’élevage, sur les transports, le commerce de détail dans la zone cotonnière, la santé et l’éducation, les femmes dans leurs activités productives, etc.
La question qui reste posée est de savoir : la privatisation de la Compagnie Malienne du Développement des Textiles et des autres sociétés et entreprises de l’Etat Malien respecte-t-elle les différentes conventions signées et ratifiées, relatives à la protection aux droits humains et à la souveraineté de l’Etat et des peuples ?
Notre pays correspond-il à la définition d’un Etat où le pouvoir du peuple s’exerce par le peuple et pour le peuple ?
Dans le chagrin mêlé de ressentiment dû a cette situation, il y a eu de nombreuses contestations et manifestations des paysans, de la société civile, etc. Malgré tout le gouvernement poursuit inexorablement avec un entêtement déroutant la liquidation de la Compagnie Malienne du Développement des Textiles qui nourrit directement et indirectement plus de quatre millions de Maliens.
Une foi la signature du décret d’application de cette loi proposée par le ministre des finances adoptée par les partis politiques dans l’Assemblée Nationale à l’exception des partis SADI, PARENA, et RPM, elle compromettra l’avenir de la jeunesse rurale de la zone, la vie des millions de coton-couteurs Maliens et du coup répondra favorablement à l’ordre néolibéral, système de production dont les fondements sont l’entreprise privée et la loi du marché, maintenant les pays pauvres dont le Mali dans un système d’exploitation économique, social et idéologique inacceptable.
Je considère que l’enjeu ne vise aucunement la Compagnie Malienne du Développement des Textiles, mais plutôt la souveraineté du Mali.
Les députés ne devraient en aucun cas l’accepter, car cela plongera davantage le Mali dans l’extrême pauvreté, qui est le contraire absolu du but final proclamé par le gouvernement Malien ; à savoir la réduction de la pauvreté. La Compagnie Malienne du Développement des Textiles est l’une des plus grandes productrices de ressources et certainement la meilleure arme de lutte contre la pauvreté.
Le coton reste encore le deuxième produit d’exportation du Mali et une source de revenus pour plus de quatre millions de Maliens, ce qui n’est pas à ignorer dans cette problématique de dénationalisation.
Pour terminer je demande aux autorités Maliennes de sauvegarder les intérêts stratégiques de notre patrie gage d’une vie correcte pour nos compatriotes.
Je demande également à ces mêmes autorités de tout mettre en œuvre avec l’aide du peuple et de ses représentants, de nationaliser toutes les Sociétés et Entreprises d’Etat créées par la Première République du Mali. Il est même nécessaire d’en créer d’autres pour qu’enfin le Mali soit économiquement développée afin de garantir son indépendance et sa souveraineté.
A noter que la privatisation affaiblie les capacités normatives d’un Etat, juridiquement elle peut tuer la loi.
NB : la privatisation de la Compagnie Malienne de Développement des Textiles (CMDT) est une vraie catastrophe pour la nation Malienne, car le coton est le véritable moteur de l’économie du Mali.
IBRAHIMA KEBE
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