DISCOURS DU CAMARADE OUSMANE BA DEVANT LA 23e ASSEMBLEE GENERALE DE L’ONU. (septembre 1968).
Dr Ousmane Bâ
Médecin. Il fut :
- Membre du GEC (groupe d'Etudes Communistes) de Dakar dès la fin de la guerre 1939-45
- Membre de la Direction de la Section RDA du Sénégal puis de la Haute-Volta (Burkina-faso)
- Ministre du Gouvernement présidé par Ouézzin Coulibaly dont les adversaires l'expulsèrent du pays au décès de ce dernier
- Membre du Gouvernement Fédéral du Mali à Dakar jusqu'à l'éclatement de la Fédération
- Ministre de l'Information sous la Première République du Mali
- Ministre du Travail
- Ministre des Affaires Etrangères
- Membre du Bureau Politique National puis du CNDR (Comité National de Défense de la Révolution)
- Président de la Commission de presse et de propagande de l'USRDA.
Le Dr Ousmane Bâ fut un brillant dirigeant, tant dans la presse à l'époque du journal REVEIL à Dakar (1946-1952), que comme Ministre dans tous les gouvernements où il a siégé. Il a laissé à l'ONU la réputation du plus grand ténor parmi les Ministres Africains, Asiatiques et Latino Américains. Les discours du Dr Ousmane Bâ à l'ONU étaient attendus de toute l'opinion internationale pour la densité, la qualité de l'expression et le courage politique qui les caractérisaient. Le célèbre journaliste Egyptien Simon Malley disait qu’à l’ONU tant que la voix du Mali n’avait pas été entendue, tous les diplomates et reporters considéraient que l’essentiel n’avait encore été dit concernant l’Afrique et le Tiers Monde. Ce Mali-là, bien que pauvre à l’époque, était respecté car il symbolisait l’Afrique debout, fière, militante convaincue et conséquente de la lutte contre l’impérialisme, le néocolonialisme, l’apartheid ; avant-gardiste de la lutte pour la paix, la liberté, la justice et le développement. Notre pays doit au Dr Ousmane Bâ de nombreux acquis sur le plan diplomatique. Citons-en seulement deux :
1- l'équipement complet de l'Armée du Mali à sa naissance, à travers la coopération avec l'URSS et le camp socialiste (armes lourdes et légères - équipement du génie militaire - aviation et formation des cadres - etc).
2- le financement du chemin de fer Kankan-Bamako dont le Comité militaire a bloqué la réalisation en 1968 par hostilité contre le régime de l’USRDA, contre la Chine et la Guinée de Sékou Touré.
Le Dr Ousmane BA a subi la détention et la déportation arbitraires à Kidal sans jugement pendant 7 ans, dans la dignité (1968 - 1975).
N.B. :
Aujourd’hui 19 octobre 2009, cela fait dix ans que le Mali a vu s’éteindre, le Dr Ousmane BA, après une très longue maladie. En cette douloureuse circonstance, il me semble que le meilleur hommage à lui rendre, consiste à soumettre aux Maliens et à leurs amis à travers le monde, le texte intégral de son dernier discours devant l’Assemblée générale des Nations Unies, en septembre 1968, avant son arrestation à la suite du Coup d’Etat du 19 novembre 68. Ce texte porte la marque du courage politique, de la qualité des analyses, de l’esprit de responsabilité et de précision du langage qui caractérisaient les positions de l’USRDA et du Gouvernement que présidait avec honneur, le camarade Modibo Kéita dont le Dr Ousmane Bâ était le brillant porte-parole.
Amadou Seydou Traoré dit Djikoroni.
DISCOURS DU CAMARADE OUSMANE BA
DEVANT LA 23e ASSEMBLEE GENERALE DE L’ONU.
(septembre 1968)
L'élection de M. Arenales à la présidence de notre assemblée, montre à quel point toute la com¬munauté internationale le tient en haute estime. Le gouvernement du Mali se réjouit sincèrement de cet¬te élection et je suis heureux de m'associer aux hommages qui ont été rendus à notre président par les délégations qui m'ont précédé à cette tribune. Que l'on me permette également de rendre un hommage mérité à son prédécesseur, Son Excellence M. Manescu, Ministre des Affaires Etrangères de Rouma¬nie, qui, grâce à sa compétence, à son autorité et à ses hautes qua¬lités personnelles, a su présider avec tant de distinction et d'efficacité les délibérations de la 22ème session de l'Assemblée Générale.
«Je voudrais enfin féliciter le Swaziland pour son accession à l'indépendance et son admission au sein de notre Organisation. Nous saluons également l'indépendance de la Guinée Equatoriale. En adressant aux peuples de ces deux pays frères nos meilleurs voeux de succès, de prospérité, nous ne doutons pas qu'ils renfor¬ceront la lutte des peuples Afri¬cains au sein de la Communauté.
«Il convient de mettre un ac¬cent tout particulier sur la com¬préhension dont a fait preuve l'Espagne dans l'heureux aboutis¬sement de la décolonisation de la Guinee Equatoriale, en souhaitant que son exemple inspire son voi¬sin, le Portugal, à changer sa po¬litique rétrograde et à courte vue en matière de décolonisation, et à cesser d'être un fossile dans la communauté des nations civilisées.
«Si la délégation du Mali a pré¬féré attendre jusqu'à ce jour pour intervenir dans le débat général devant cette auguste assemblée, c'est par souci de déterminer
- au travers des nombreuses inter¬ventions des dernières semaines, des représentants de pays que nous considérons comme les prin¬cipaux responsables de l'aggrava¬tion de la situation mondiale
- s'il existait encore quelques lueurs d'espoir permettant d'entrevoir l'amorce du règlement des problèmes cruciaux, voire explosifs, que le monde doit affronter et dont la nature n'a fait que se détériorer durant cette dernière année.
Il est temps que les véritables responsables du gouffre qui s'élargit, réagissent.
Au moment où notre distingué Secrétaire général, U Thant, lance un nouveau cri d'alarme, au mo¬ment où certains hommes d'Etats évoquent déjà, la possibilité d'une troisième guerre mondiale, au mo¬ment où le découragement et la lassitude gagnent gouvernements et peuples quant à la capacité de l’Orga¬nisation des Nations Unies, de résoudre les problèmes de la paix, n'étions-nous pas en droit de nous attendre à ce que réagissent, avant qu'il ne soit trop tard, les vérita¬bles responsables du gouffre qui s'élargit chaque jour davantage, entre nous et la réalisation des ob¬jectifs édictés par la Charte des Nations Unies ?
Ne devons-nous pas à l'humanité entière, anxieuse et tourmentée, de lui redonner confiance et foi dans notre détermination de préserver le monde, des horreurs d’une nouvelle conflagration mondiale ?
Est-ce chimérique de voir ceux qui semblent devenir les fossoyeurs de cette organisation, mettre un terme à cette attitude, maintes fois dénoncée et condamnée, qui consiste à verser des larmes de crocodile sur tels événements en évoquant la viola¬tion de la Charte, alors que depuis bientôt 23 ans, le bilan de leur politique est saturé d’agressions contre les droits, la souveraineté et la liberté des peuples ?
Force nous est de reconnaître que les espoirs des peuples sont déçus.. Rien de ce que nous avons entendu à ce jour, du haut de cet¬te tribune, particulièrement de la part de ces puissances et de leurs alliés, n'autorise un brin d'optimisme ; bien au contraire ! Un sentiment général de frustration pè¬se sur cette assemblée. Jamais l'Or¬ganisation des Nations Unies n'est apparue aussi impuissante à ré¬soudre les problèmes de la paix et de la guerre.
Les grandes puis¬sances, préoccupées par la seule défense de leurs intérêts sordides, de leur hégémonie, de leurs sphè¬res d'influence, de leur volonté d'imposer à la majorité que nous sommes, des solutions toutes faites, élaborées en dehors de cette en¬ceinte, sont plus responsables de cette situation que ne l'est la dé¬pendance apeurée des petites na¬tions faibles et instables.
Peut-être le moment est-il ve¬nu de dire certaines vérités, cruel¬les sans doute à certaines oreilles, mais qui n'en reflètent pas moins le désir sincère de la République du Mali, de son gouvernement et de son peuple, de contribuer mo¬destement à la clarification des choses, seul moyen, à notre avis, qui permette d'arracher notre Or¬ganisation à sa torpeur, à son im¬puissance, afin qu’elle devienne le véritable instrument de la paix et de la sécurité que ses fondateurs avaient souhaité qu’elle fût.
C'est dans le Tiers-monde, tout particulièrement en Afrique, en Asie et dans le Moyen-Orient que l'impérialisme et le colonialisme se manifestent dans leur forme la plus brutale
C’est incontestablement dans le Tiers monde, et tout particulièrement en Afrique, dans le Moyen-O¬rient et en Asie, que nous assist¬ons aux "guerres les plus barbares, aux agressions les plus perfides, à la domination et à l'oppression les plus atroces. C'est dans ces régions que l'impérialisme et le colonialisme se manifestent dans leur force la plus brutale. C'est là que les peuples sont soumis à l'occupation étrangère, aux bombarde¬ments monstrueux, à la souffran¬ce, à la misère et à la mort. Qu'il s’agisse du peuple Vietnamien ou du peuple Palestinien, des peuples Africains, de l'Angola, du Mozambi¬que, du Zimbabwe, de l'Afrique Sud, de la Namibie, de la Guinée Bissao, ou des peuples de la République Arabe Unie, de la Syrie et de la Jordanie, c’est la loi de la jungle qui est appliquée et soutenue par les agresseurs impérialistes et leurs alliés.
Et s'il nous faut remonter à la période qui suivit la fin de la Deuxième guerre mondiale, c'est bien aussi en Asie comme en Afrique, au Moyen-Orient comme en Amériq¬ue latine, que la Charte des Na¬tions Unies a été violée tant de fois et par les mêmes puissances, depuis le jour où les premières signatures furent apposées, le 26 juin 1945, à San Francisco. C'est sur ces continents que nous avons connu la guerre coloniale d'Indo¬chine en 1945, d'Algérie en 1954. C’est là aussi où furent perpétrées les agressions contre le peuple Palestinien en 1948, contre l'Egypte et les pays arabes en 1956 et 1967, contre la République Populaire de Chine et la Corée en 1950, contre le Congo, contre Cuba, contre la République Dominicaine en 1965, une dizaine d'années auparavant contre le Guatemala.
Combien d'autres drames, intrigues, complots, coups d'Etat, inspirés et téléguidés ? Combien de guerres de libération nationale, un peu partout dans ces régions du Tiers-Monde où les puissances impérialistes et colonialistes n'ont cessé de renier et de bafouer la Charte de l'Organisation des Natio¬ns Unies, pratiquant des politi¬ques, dictées exclusivement par leurs intérêts égoïstes en vue de maintenir leur domination politique militaire, et économique ?
Vingt cinq années de lutte du Vietnam qui n’ont rien appris, aux tenants d’une démocratie en faillite
La guerre de libération nationale au Vietnam dure pratiquement depuis près de 25 années, 25 années qui semblent n’avoir rien appris à ceux qui cherchent à imposer aux Peuples du Tiers-Monde leur prétendue démocratie en faillite par l'entremise de renégats et de fantoches, la démocratie des bombes et du napalm, des tor¬tures et de la misère. Et pourtant, les années de résistance du peuple vietnamien à ses agresseurs furent des années de gloire et de fierté pour ceux qui sont tombés au champ d'honneur comme des martyrs, et pour tous ceux qui continuent de lever haut l’éten¬dard de la liberté et de la dignité, pour que le Vietnam soit aux Viet¬namiens et que soient boutés dehors, l'agresseur et ses valets de Saigon.
Malgré notre scepticisme, nous avions espéré et souhaité que les conversations de Paris, qui se dé¬roulent depuis le mois d'avril der¬nier, réussissent à amorcer de vé¬ritables négociations en vue de mettre un terme à la guerre sur la base des accords de Genève de 1954.
Mais ni l'impopularité de la politique de Washington dans l'o¬pinion mondiale et américaine, ni la grave division du peuple améri¬cain lui-même, peut-être sans pré¬cédent dans I'histoire moderne des Etats-Unis, ni les pressions considérables exercées par les diri¬geants de la plupart des pays du Monde, ni même les graves boule¬versements que la guerre avait fi¬ni par provoquer dans la vie intérieure américaine, n'ont réussi à modifier les bases mêmes d'une politique discréditée et condamnée par l’écrasante majorité des Peuples du Monde. En refusant de cesser inconditionnellement les bombardements de la République Démocratique du Vietnam, en de-mandant en échange une sorte de réciprocité de la part des combat¬tants Vietnamiens, les dirigeants Américains placent l'agresseur et sa victime sur le même pied d’égalité et de responsabilité, tout comme on voudrait lier les mains des combattants Vietnamiens au cas où les négociations, une fois engagées, n’aboutiraient à rien par suite d’obstacles artificiels placés en travers des pourparlers.
Symptomatique à cet égard - et paradoxale aussi - est la déclaration faite il y a quelques jours - le 12 octobre dernier - ¬par un des partisans les plus acharnés de la poursuite de la guerre du Vietnam qui, parlant à l'Uni¬versité de Pauw, dans l'Etat d'In¬diana, indiquait sans ambages que l'escalade de la guerre ne réussira pas et que le peuple Américain n'accepterait plus de poursuivre une guerre qui lui coûte 30 mil¬liards de dollars et 10 mille vies américaines par an. Il disait :
« La guerre ne peut pas être ga¬gnée par les Etats-Unis. Il n'existe pas de perspective d'une victoire militaire contre le Viet¬nam du Nord, quel que soit le niveau de force militaire, acceptable ou désirable dans notre intérêt ou dans l’intérêt de la paix mondiale... Il y a plus d'Américains qu'il n'en faut au Vietnam et ce qu'ils ne peuvent pas faire ne pourrait pas être fait même en doublant leur nombre... »
Il aura fallu cinq ans à cet éminent personnage pour se rendre à l'évidence, mais au prix de combien de dizaines de milliers de victimes, de destructions et de souffrances inutiles ?
Quoi qu’il en soit, nous savons que pour le peuple Vietnamien debout pour défendre sa patrie et sa dignité, la victoire est au bout du chemin. Et du haut de cette tribune, nous saluons la lutte héroïque du peuple du Nord Vietnam et du Front National de Libération du Sud Vietnam. Nous sommes sûrs que, face à l'agression impérialiste ils bénéficient de la solidarité de tous les peuples épris de paix, de justice et de liberté.
La commission de l'O.N.U. pour l'unification et le relèvement de la Corée : Un outil au service de la politique d'agression des impérialistes
17 années de discussions ne nous ont pas rapprochés des conditions indispensables à l'unifica¬tion de la Corée, encore moins du rétablissement d'une paix durable dans cette partie de l'Asie. La Commission des Nations Unies pour l'Unification et le Relèvement de la Corée, illégalement instituée com¬me on se le rappelle, favorise plu¬tôt l'implantation des troupes d'in-tervention, sous le drapeau de l’ONU, en Corée du Sud. De plus, cet¬te commission, devenue un outil an service de la politique d'agres¬sion des impérialistes, vise à éta¬blir une domination perpétuelle des Etats-Unis en Corée, au mépris des buts et principes de la Charte et en violation flagrante des dispositions de la Convention d'Armistice de Corée.
Mon pays, comme vous le sa¬vez, a depuis longtemps indiqué la voie qui lui parait la seule suscep¬tible de ramener la paix dans cet¬te partie du monde :
- retrait des troupes étrangères ;
- dissolution de la prétendue commission des Na¬tions Unies pour l'unification et le relèvement de la Corée ;
- liberté pour le Peuple Coréen de choisir lui-même, en dehors de toute ingé¬rence étrangère, les voies et moyens de la réunification de sa pa¬trie.
Pour un examen objectif de la question sur laquelle des débats sont déjà instaurés en première commission, notre assemblée doit inviter les représentants des deux parties de la Corée à participer aux discussions.
Le grand pays de Mao Tsé Toung doit avoir une place de choix, à la dimension de son génie créateur
Dans cette enceinte, on a beaucoup parlé de paix et de désarme¬ment, on a beaucoup parlé d'Uni¬versalité. L'universalité est-elle concevable en ignorant un Tiers de l'Humanité, c'est-à-dire 700 Mil¬lions de Chinois que l’ostracisme et l’obstination fanatique de certaines grandes puissances continuent de tenir éloignés de l'Organisation des Nations Unies ? Un peuple immense, presque un continent, avec des possibilités inouïes, qui plus est, est devenu une puissance nucléaire.
Depuis son admission à l'Organisation, ma délégation a défen¬du le rétablissement des droits lé¬gitimes de la République Populai¬re de Chine aux Nations Unies. Sa position n'a pas varié. Au contraire ! Le rétablissement des droits lé¬gitimes de la République Populaire de Chine est plus que jamais d'une impérieuse nécessité. Le grand pays de Mao Tsé Toung, de civilisation plusieurs fois millénaire, qui vient de réaliser victorieusement, sauf dans la province de Taiwan, la plus grande révolution culturelle prolétarienne, la plus grande révolution culturelle de tous les temps, doit avoir parmi nous la place de choix que lui valent ses dimensions humaines, économiques, culturelles, scientifiques et son génie créateur.
Tous les hommes de bon sens, sont intimement convaincus de la nécessité et de l’inévitabilité de l’éviction des représentants de Tchang Kai .Chek. Certains délégués, cependant ont préconisé par machiavélisme la double représentation de la République Populaire de Chine et des fantoches de Formose.
Qu'adviendrait-il s’il était proposé à ceux d’entre eux dont les pays ont connu des changements révolutionnaires d’être représentés par des gens qui ne jouissent plus de la confiance populaire et ont été chassés de leur pays ?
Depuis quand et en vertu de quelle stipulation de la Charte un seul et même Etat jouirait-il d'une double représentation ?
Au Moyen-Orient, après l’agression israélienne du 5 juin 1967, la résolution adoptée à l’unanimité du Conseil de Sécurité le 22 novembre dernier reste lettre morte. Les troupes israéliennes continuent d’occuper de larges territoires de pays indépendants et souverains et tous les efforts méritoires du représentant spécial d’U Thant, l’ambassadeur Jarring, n’ont pas abouti à amorcer un règlement équitable, dont tous les éléments sont contenus dans cette résolution.
Il serait dangereux de se méprendre sur la détermination des Peuples arabes, et palestinien en particulier.
Les raisons de cette intransigeance d’Israël ne sont pas difficiles à déceler. Elles rejoignent en réalité, celles qui ont toujours dicté l’attitude des puissances impérialistes et colonialistes qui, au Viêt-Nam aujourd'hui comme en Afrique et en Amérique Latine, n’ont jamais compris les réalités de la lutte révolutionnaire de notre époque, ni les données objectives qui inspirent et guident les peuples soumis au joug étranger. On se leurre lourdement en croyant que le temps travaille pour l’agresseur, que chaque jour qui passe renforce ses positions et affaiblit celles de sa victime, et que le moment viendra où elle s’accommodera de son état d’assujettissement, et perdra toute volonté dans la défense de ses droits inaliénables en acceptant la soumission au «diktat» imposé.
Il est clair pour nous- que la situation qui règne à l’heure ac¬tuelle au Moyen-Orient ne saurait durer indéfiniment. Que l’on ne se méprenne surtout pas sur la dé¬termination des Peuples arabes dans leur ensemble, et du Peuple Palestinien en particulier, de lutter jusqu'à ce que toutes les séquelles de l'agression soient éliminées et pour que soient reconnus et réalisés leurs «droits » nationaux. Dans le monde entier, sur tous les continents, leurs allies et leurs amis sont nombreux et puissants, et le rêve de ceux qui pensent qu'avec le temps, les Peuples ara¬bes accepteront la volonté de l'a¬gresseur et de ceux qui le sou¬tiennent, est déjà désormais sé-rieusement troublé, tous les jours, par le mouvement de résistance sans cesse mieux organisé et plus efficace.
Si le cessez-le-feu, combien fra¬gile pourtant, est jusqu'ici maintenu, combien de temps pensez-vous que les Peuples arabes patienteront tandis qu'ils voient leurs villes et leurs villages occupés par les forces militaires ennemies, leurs hommes, leurs femmes et leurs enfants souffrir dans leur chair comme dans leur cœur, l’humiliation de la botte étrangère ? Combien de temps encore peuvent-ils tolérer l’intolérable, quels que soient les sacrifices et quelles que soient les conséquences ? Ceux qui ont subi comme nous en Afrique, l’occupa¬tion, la domination, l'oppression et la persécution, se souviennent fort bien de leur état d’âme à l’époque, de leur impatience, mais aussi de leur volonté inébranlable, de faire face à tous les risques pour que triomphe la cause sacrée de la liberté et de l'indépendance.
Tous les jours nous rapportent d’ailleurs les exploits des militants de la résistance dans les régions occupées, une résistance que ni les menaces ni le chantage ne sauraient briser.
C’est un journal que nul ne saurait accuser de préjugés favorables aux pays arabes, le New York Times qui écrivait le 9 juin dernier, à l’occasion d’une série de grèves sur la rive occidentale du Jourdain occupée par Israël sous le titre : «Pas de paix à Jérusalem »
« Cette manifestation d’indépendance et de militantisme parmi les arabes a surpris les Israéliens, qui se posent des questions quant à ses origines.. Pour les Arabes de Jérusalem et de la rive occidentale du Jourdain, ils ont voulu démontrer au Monde leur opposition à l’annexion et à l’occupation de la rive Occidentale. Un leader de la Ville arabe de Jérusalem nous a déclaré : Nous voulons être sûrs que le monde et particulièrement l’ONU sont conscients du fait que Jérusalem n’est pas aussi paisible que les Israéliens le prétendent ! »
Etrange, mais combien touchante et significative cette con¬fiance du Peuple Palestinien dans notre Organisation, alors que celle-ci ne lui réserve que déceptions et désillusions !
Mais fortes de leurs droits et confiantes dans leur avenir, les victim¬es de l’agression du 5 juin 1967 ne resteront pas les bras croisés tandis que leurs adversaires consolident leurs positions et renforcent leur potentiel de guerre. Si la paix doit un jour revenir dans la région, une paix dont les assises ont été jetées par la résolution du 22 novembre dernier, elle devra passer nécessairement par une modification radicale de la mentalité, de l'attitude et de la politique des dirigeants Israéliens, qui doivent savoir que les victoires militaires sont souvent éphémères, que les vaincus d’hier peuvent devenir les vainqueurs de demain et, que ce n’est pas la force brutale et la puissance du fer qui forgent la paix entre les Peuples et les nations, mais la reconnaissance et le respect des droits légiti¬mes des autres, dans, la justice et l’équité. Pour nous, et nous l’avons déjà proclamé du haut de cette tribune, l'évacuation totale et complè¬te de tous les territoires arabes oc¬cupés par Israël et la reconnais¬sance des droits du Peuple Pales¬tinien chassé de sa patrie, consti¬tuent la seule voie susceptible de rétablir la paix dans cette région du monde.
Et pourtant, rien n'a été dit ici par le Ministre Israélien des Affai¬res étrangères ou par les puissan¬ces qui le soutiennent, pas un seul mot, pas une seule phrase qui puisse nous laisser entrevoir une perspective quelconque de pro¬grès dans le règlement du conflit.
Le dernier sommet de l’Organi¬sation 1'Unité Africaine, tenu à Alger au mois de septembre, a ap¬porté son soutien unanime à la Ré¬publique Arabe Unie, pays Africain victime de l'agression israélienne, ainsi qu’aux autres pays arabes oc¬cupés. Il a indiqué clairement que le rétablissement de la paix au Moyen-Orient passe par l'applica¬tion stricte de la résolution du 22 novembre 1967, dont l’élément fon¬damental est l'évacuation des ter¬ritoires occupés par Israël. Par ma voix, le Mali adresse son salut fraternel aux combattants de la liberté en Palestine et à la lutte des Peuples Arabes frères contre l’impérialisme et le néo-colonialisme !
Les protecteurs du régime de Salisbury : le Portugal, l'Afrique du Sud et les capitales Occidentales qui leur apportent toute l’aide qu’ils souhaitent.
Par ailleurs, rien dans ce que nous avons entendu de la part des puissances directement responsables de la perpétuation du colonialisme en Afrique, n'inspire plus le moindre espoir de l’avènement d'une politique nouvelle qui mettrait un terme à la domination et à l'oppression de plusieurs dizaines de millions d'Africains, soumis au joug des racistes Portugais, Rhodésiens, Sud- africains. Certes nous avons entendu la voix de certains porte-parole de ces puissances s'é1ever pour condamner le racisme et pour dénoncer l'apartheid et l'oppression. Mais qu'ont-ils fait pour traduire leurs déclarations dominicales de piété en actes concrets ? Ont-ils cessé leur soutien militaire aux racistes de Pretoria ? Ont-ils interrompu leur aide économique et militaire aux fascistes de Lisbonne ? Ont-ils agi dans cadre de leurs obligations internationales pour éliminer par la force la rébellion de la clique Smith à Salisbury ? Ont-ils ralenti ou supprimé leurs investissements, qui se chiffrent à des milliards de dollars dans cette Afrique Australe, permettant aux régimes de cette région de se consolider et de se perpétuer, mais aussi de menacer l’indépendance de pays africains voisins ? A quoi donc peut, servir la résolution du Conseil de Sécurité du 29 mai dernier, imposant des sanctions obligatoires contre la Rhodésie du Sud, lorsque nous savons tous que le pétrole dont a besoin Salisbury, continuera d'être fourni par Pretoria, que ses forces seront équipées et renforcées par le Portugal et l'Afrique du Sud qui reçoivent toute l’aide qu'ils souhaitent des capitales occidentales sans restrictions ou limitations. On jette, en quelque sorte, à l’opinion mondiale, un os à ronger en votant des sanctions obligatoires contre la Rhodésie du Sud, tandis qu'on développe, d'autre part, des rapports économiques et militaires avec les deux puissances colonialis¬tes qui sont les bailleurs et les pro-tecteurs du régime de Salisbury.
Quelle hypocrisie que cette politique qui consiste à faire des déclarations pieuses, exprimant désapprobation et désaveu du racisme et de l'oppression en Afrique australe, tout en soutenant active¬ment les architectes et les auteurs de ce racisme et de cette oppres¬sion !
Mais, comme au Viêt-Nam et au Moyen-Orient, la résistance des Peuples Africains soumis à la domination coloniale et raciste se dé¬veloppe avec plus d'intensité que jamais. Les mouvements nationalistes ont déjà déclenché une véritable guerre de libération natio¬nale, et c'est par milliers que des patriotes luttent et se sacrifient, les armes à la main, contre les régimes rhodésien, portugais et sud-africain. Et ni l'alliance impie entre Salis¬bury, Pretoria et Lisbonne qui col¬laborent dans la défense de leurs intérêts sordides, ni les plans stratégiques établis par les racistes Vorster et Smith durant la visite de ce dernier à Johannesburg en juillet dernier, et qui comportent des projets d'agression contre la Zambie, ne sauraient fléchir la vo¬lonté inébranlable des patriotes africains de lutter jusqu'à la libéra¬tion totale de leurs nations.
Ce n'est ni par le dialogue avec le régime raciste de Salisbury, ni par des résolutions prévoyant des sanctions partielles ou complètes, facultatives ou obligatoires, que le Royaume-Uni ou les Nations Unies pourront contribuer à résoudre le problème. La responsabilité, totale et exclusive du gouvernement Bri¬tannique doit être pleinement assumée si l’on veut que la crise soit réglée par la voie pacifique et la seu¬le voie qui s'offre à Londres, c’est le recours à la force pour que la do¬mination du peuple Zimbabwéen par les 200.000 racistes de Salisbury soit écrasée. Pour nous, il n'y a pas d'autre solution.
Mais la racine du mal reste à Pretoria et à Lisbonne. C'est cette racine qu'il est indispensable d'ar¬racher, et la première responsabilité de cette tâche incombe aux puissances occidentales industria¬lisées, singulièrement à certains pays membres de 1'OTAN, dont la politique à l’égard de l'Afrique du Sud et du Portugal permet la con¬solidation et le renforcement du défi que ne cessent de nous lancer, ces deux pays qui créent en Afri¬que un danger permanent pour notre sécurité et notre stabilité.
La sécession du Nigeria a été condamnée pour des raisons objectives par les Africains directement intéressés.
La guerre de sécession au Nigeria, qui a fait verser beaucoup d’encre et, dit-on, des larmes dans les pays capitalistes, a donné lieu à beaucoup de battage dans la presse impérialiste inspirée par les officines de subversion. Nous continuons de penser qu’il s'agit d'un problème strictement inté¬rieur de l'Etat fédéral Nigérian. Les jérémiades des uns et les pleurnicheries des philanthropes d'occasion ne changent rien à cet¬te réalité juridique. Il est permis d'épiloguer longuement sur les souffrances et les misères engendrées par la guerre civile qui nous attristent plus que d'autres, enco¬re que nous ne connaissions aucu¬ne guerre qui ait été humaine.
La récente Conférence au som¬met des Chefs d'Etat et de Gouver¬nements de l'OUA, après une analy¬se approfondie de la question, sur la base du rapport du Comité Consultatif composé de Chefs d'Etat intègres et lucides, a adopté à une écrasante majorité une réso¬lution de haute tenue qui, tout en condamnant sans équivoque la sécession, a indiqué de façon concrète les voies et moyens permet¬tant de mettre fin aux hostilités et, par l’amnistie générale, de permet¬tre aux Nigérians, de se retrouver dans la grande famille fédérale de cinquante millions d'habitants qui fait la fierté de tous les Africains par ses riches potentialités humai¬nes et économiques.
Certains qui soutiennent, pour des raisons inavouables, la séces¬sion du prétendu Biafra an nom du principe sacro-saint de l’autodétermination des peuples, ont con¬testé la valeur de la prise de po¬sition de la quasi-unanimité des chefs d'Etats Africains, en excipant de l’universalité des principes hu¬manitaires qu'ils disent être le mo¬bile de leur soutien à la région sécessionniste avec, comme argu¬ment massue, que l'Afrique n'était pas plus habilitée que d'autres pour en traiter. D'accord avec ces bons apôtres pour qu’il n'existe nulle part de chasse gardée. Les responsables Africains que nous sommes sauront s'en souvenir lors¬qu'il s'agira de mouvements sépa¬ratistes et autonomistes, de conflits flamands ou Wallons et autres Québec libre! Car nous savons que le tribalisme à l'état pur exis¬te ailleurs qu'en Afrique, Et par ¬dessus tout, le problème des Ibos, qui vivent avec des millions de ressortissants d'autres ethnies, exhale un fort parfum de pétrole et de minerais avec, comme exci¬pient, une bonne dose d'eau bénite.
Nous en appelons cependant au sens des responsabilités, certaines puissances afin qu'elles cessent leur soutien à une cause perdue. La sécession a été condamnée pour des raisons objec-tives par les Africains directe¬ment intéressés. Toute position contraire, loin de servir les in¬térêts du Nigeria et de l'Afrique, constitue un appui direct aux in¬térêts des monopoles impérialis¬tes et des forces centrifuges hos¬tiles à l'unité et à l'indépendance des Etats Africains.
La carte d'identité de la pauvreté est chose bien connue
Comme il fallait s'y atten¬dre, la vingt-troisième session de l'Assemblée générale de l'Orga-nisation des Nations Unies aura été marquée, à côté de la situa¬tion politique internationale plus que jamais détériorée, par les problèmes non moins brûlants du développement économique et so¬cial. Comment pourrait-il en être autrement, au seuil de la prochai¬ne décennie et après les récents travaux du Conseil Economique et Social, les débats de l'Assemblée annuelle des Organisations de Bretton Woods, et surtout l'échec retentissant de la Deuxième session de la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement?
La majorité des représen¬tants qui m’ont précédé à cette tribune ont amplement dépeint la sombre toile de fond du Monde sous-développé. Je ne voudrais pas revenir sur ce tableau, au ris¬que de l'assombrir davantage. Qu'il s'agisse de la « pauvreté abso¬lue » ou de la « pauvreté relative », la carte d'identité de la pauvreté est chose bien connue : les 50 pour cent environ de la popula¬tion mondiale ne participent que pour un huitième à la production mondiale des biens et ser¬vices ; le produit brut, par habitant, dans la plupart des pays industrialisés, est onze fois supé-rieur à celui qu’il est dans les pays non développés ; la moitié de la population du monde sous-développé vit dans les pays dont la croissance, est inférieure à 3,5% ; enfin les deux tiers de la population mondiale vivent dans les pays dont la production par tête d’habitant est inférieure à 100 dollars par an.
De Genève à Alger, de New Delhi à New York, cette déplorable situation a été maintes fois présentée, analysée sous tous les angles ; mais pour autant, aucun remède digne de ce nom n'y a été apporté, en dépit de l'exactitude du diagnostic.
Dans ces conditions, comment est-il possible que les pays Pauvres accueillent avec enthou-siasme les résultats de la Décennie du Développement qui s'achè¬ve et ne s'interrogent pas, avec quelque inquiétude, sur le sort de la prochaine décennie, même si l'élaboration de cette dernière fait appel au vocabulaire à la fois vigoureux et encourageant de la «Charte de développement», «Stratégie globale», «percée décisive» etc. ?
Ma délégation n'a pas l’intention de faire ici oeuvre de criti¬que stérile et de condamnation facile. S'il est certain que le développement économique et social est un phénomène complexe et divers qui nécessite une action concertée dans un système d'objectifs définis, s'il est éga¬lement vrai que le Programme les Nations Unies pour le Développement, ainsi que les organi¬sations spécialisées de la famille des Nations ont obtenu d’appréciables résultats dans le Tiers Monde, il y’a lieu de révéler que l’actuelle décen¬nie aura été caractérisée sans conteste par le fait que les pays développés ont connu dans le même temps, un taux de croissance jamais égalé, tandis que les pays pauvres attendent de recevoir non pas la manne, mais plutôt une aide réelle, qui corresponde à leurs besoins réels dans le cadre d'une véritable politique de soli¬darité humaine et universelle conformément à la Charte de notre Organisation.
Il faut tirer la leçon de l’échec de la conférence de New Delhi sur le commerce et le développement
Si la République du. Mali a été déçue par la Conférence de New Delhi sur le Commerce et le Développement, elle n'a pas été pour autant surprise par l’éc¬hec de cette rencontre, car nous n'avons pas l'habitude de nous nourrir d'illusions. Dans ce domaine aussi, notre pensée politique repose sur analyse scientifique de la situation internationale, caractérisée par la lutte des classes internationales, qui n'est pas une vue de l'esprit et dont l'examen permet de retenir qu'en l’état actuel de la société capitaliste, appelée par euphémisme la société de con¬sommation, il est impensable que les Nations dites riches, permet¬tent un développement valable et rapide des «Nations prolétaires», car le capitalisme ne veut pas se¬créter ses propres fossoyeurs. L'échec de la conférence de New Delhi sur le commerce et le développement aura en au moins le mérite d’inciter enfin les pays du Tiers-monde à tirer les leçons qui s'imposent.
Telles sont les réalités de la situation mondiale comme nous les comprenons. Telles sont les causes essentielles et fondamen¬tales de la détérioration du climat international, qui suscite les ap¬préhensions légitimes et justi¬fiées de l'humanité entière. Dans cette salle, comme ailleurs au sein des divers organes des Na¬tions Unies, le Mali s'est toujours élevé contre toute violation de la Charte de notre Organisation par les puissances, grandes ou petites ; mais nul ne saurait con¬tester que ces violations sont sur¬tout le fait des puissances impérialistes et colonialistes et de leurs partisans.
Le chemin de la détente est celui de la Charte de l'ONU
De même, le Mali s'est tou¬jours dressé contre la division du monde en blocs ou en sphères d'influence, tout comme il s'est opposé à toute tentative cher¬chant à réserver aux grandes puissances, le soin exclusif de ré¬gler les graves problèmes inter¬nationaux. Si nous avons adhéré loyalement aux Nations Unies, si nous avons signé, en toute bon¬ne foi leur Charte, si nous n'a-vons jamais violé ses principes et ses dispositions, c'est parce que notre peuple a cru et veut continuer de croire dans la mis¬sion et les objectifs des Nations Unies, quelles que soient par ail-leurs leurs défaillances et quelles que soient nos désillusions. C'est aussi parce que nous avions cru que l'ère de la domination et du recours à la force dans le règlement des ques¬tions internationales est révolu, que la paix ne serait pas l’affaire de deux, quatre ou cinq puissances, mais celle de tous les pays du monde et qu'enfin la co¬existence et la détente ne consti¬tuent pas une chasse gardée de Blocs ou de groupes de puissances. Car ni coexistence, ni détente, ni paix mondiales, ne sauraient se développer et s'imposer sur no¬tre terre aussi longtemps que certaines grandes puissances parlent et agissent en termes impérialistes et colonialistes. Nous avons entendu de cette tribune une importante personnalité dire que le chemin de la détente est celui de la Charte de l'O.N.U. Nous sommes les premiers à par¬tager cette opinion, mais nous lui demandons tout simplement, si elle pense honnêtement que c'est précisément ce chemin que son pays et la plupart de ses alliés ont suivi depuis la créa¬tion de cette Organisation, et plus particulièrement à l'égard du Tiers-Monde.
Que certains des moralis¬tes dont nous avons entendu les jérémiades et les «pasqui¬nades ces dernières semaines au sujet des récents événements de Tchecoslovaquie, aient le cou¬rage de se demander en toute conscience quelle a été leur atti¬tude durant ces vingt-trois der¬nières années, lorsque des avions déversaient des milliers de ton¬nes de bombes sur les villes et les populations d'Asie, d'Afrique, du Moyen-Orient et d'Amérique Latine. Où se trouvaient-ils lors¬que le napalm a brûlé les corps des innocents sur nos conti¬nents ? Pourquoi leurs conscien¬ces ne se sont-elles pas révoltées alors ?
Il a été préconisé enfin, pour lutter contre l'impuissance crois¬sante des Nations Unies dans la solution des problèmes de la co¬existence, de la paix et de la guerre, de promouvoir une sorte de Troisième Force internationale qui se situerait à mi-chemin des blocs en présence et dont on ne précise ni les éléments, ni les structures. Pareille conception nous parait utopique et erronée en ce sens qu'elle ne tient pas compte de la réalité de la lutte de classes internationale. On est pour ou contre l’impérialisme et le colonialisme ; on est pour ou contre la paix. Le courant des forces en présence ne s'apprécie pas en fonction d'une conjonc¬tion horizontale de ces forces. Une analyse objective de la situation internationale prouve au contraire une conjonction verti¬cale des forces démocratiques et anti-impérialistes, en ce sens que dans les pays capitalistes et impérialistes existent de puissantes forces révolutionnaires et po-pulaires, dont l’action s'inscrit dans celle des pays anti-impéria¬listes du camp socialiste et du camp de la paix. De sorte que se trouvent en présence, d'une part, des minorités gouvernementales au service des monopoles et les forces de guerre, et de l'autre côté, l'immense majorité des pays de progrès, du socialisme, et de tous les peuples épris de paix et de liberté. Entre les deux, ne peut exister un autre front de lutte contre les forces de réaction et de guerre. Le choix est clair. Il ne saurait au demeurant s'agir des non-alignés, qui n’ont jamais souscrit à être une troisième for¬ce entre deux blocs antagonis¬tes. Les non-alignés qui ont dé¬fini au Caire un programme de paix, se sont engagés à lutter con¬tre l'impérialisme, le colonialis¬me et le néo-colonialisme et à soutenir les mouvements de libé¬ration en Afrique, en Asie et en Amérique Latine. Le président Modibo Kéïta, à la tête du peuple Malien, a toujours indiqué que le non-alignement n'est pas l’équilibrisme.
Le Tiers-Monde, les Peuples de la Tricontinentale doivent se mettre debout
De sorte que, pour lutter con¬tre les violations permanentes et systématiques de la Charte, pour s'opposer à l'impuissance croissante de l'O.N.U., il reste aux représentants des pays épris de paix et de justice, des pays déci¬dés à combattre l’impérialisme et le colonialisme, à s'organiser pour des actions unies, cohéren¬tes et décisives contre les nations grandes ou petites qui ont violé ou violeront la Charte. Les pays représentant les forces de paix et de progrès sont, nul ne peut en douter, la majorité. Pour que cette majorité ait valeur de com¬bat, il appartient aux pays du Tiers-monde, en particulier, de prendre leurs responsabilités, toutes leurs responsabilités, d'ac¬cepter de sacrifier, au besoin, les intérêts de leur politique con¬joncturelle, de résister à l'agres¬sion, d'apprendre à compter d'abord sur eux-mêmes, et de ne considérer l'aide des autres que comme un appoint, de s'engager vaille que vaille, dans la voie de l’édification d'économies nationales indépendantes. C'est à ce prix que, dans la vaste confron¬tation entre les deux seules grandes forces possibles qui se parta¬gent le monde — le camp des forces impérialistes et le camp anti-impérialiste — la majorité réelle et palpable au sein de la communauté internationale, saura l'emporter, parce que les peu¬ples et les forces populaires sont de ce côté-là.
Au récent sommet d'Alger de l'Organisation de l'Unité Africai¬ne, le Président Modibo Keita, faisant allusion à la déclaration d'un grand homme d'Etat, disait : «On ne peut rien faire avec des peuples couchés». Le Tiers-mon¬de, les peuples de la Triconti¬nentale, doivent se mettre debout, debout pour lutter contre l'agres¬sion impérialiste sur les plans politique, économique, social, mi-litaire, se battre résolument con¬tre l'impérialisme monopoliste et mettre fin à ses visées expan-sionnistes. Le jour où la majorité des petites nations que nous som¬mes comprendra et décidera de se battre pour cet impératif ca¬tégorique, l'Organisation des Na¬tions Unies sera sauvée, les peuples auront vaincu.
Docteur Ousmane Bâ
Ministre des Affaires Etrangères
de la République du Mali
Médecin. Il fut :
- Membre du GEC (groupe d'Etudes Communistes) de Dakar dès la fin de la guerre 1939-45
- Membre de la Direction de la Section RDA du Sénégal puis de la Haute-Volta (Burkina-faso)
- Ministre du Gouvernement présidé par Ouézzin Coulibaly dont les adversaires l'expulsèrent du pays au décès de ce dernier
- Membre du Gouvernement Fédéral du Mali à Dakar jusqu'à l'éclatement de la Fédération
- Ministre de l'Information sous la Première République du Mali
- Ministre du Travail
- Ministre des Affaires Etrangères
- Membre du Bureau Politique National puis du CNDR (Comité National de Défense de la Révolution)
- Président de la Commission de presse et de propagande de l'USRDA.
Le Dr Ousmane Bâ fut un brillant dirigeant, tant dans la presse à l'époque du journal REVEIL à Dakar (1946-1952), que comme Ministre dans tous les gouvernements où il a siégé. Il a laissé à l'ONU la réputation du plus grand ténor parmi les Ministres Africains, Asiatiques et Latino Américains. Les discours du Dr Ousmane Bâ à l'ONU étaient attendus de toute l'opinion internationale pour la densité, la qualité de l'expression et le courage politique qui les caractérisaient. Le célèbre journaliste Egyptien Simon Malley disait qu’à l’ONU tant que la voix du Mali n’avait pas été entendue, tous les diplomates et reporters considéraient que l’essentiel n’avait encore été dit concernant l’Afrique et le Tiers Monde. Ce Mali-là, bien que pauvre à l’époque, était respecté car il symbolisait l’Afrique debout, fière, militante convaincue et conséquente de la lutte contre l’impérialisme, le néocolonialisme, l’apartheid ; avant-gardiste de la lutte pour la paix, la liberté, la justice et le développement. Notre pays doit au Dr Ousmane Bâ de nombreux acquis sur le plan diplomatique. Citons-en seulement deux :
1- l'équipement complet de l'Armée du Mali à sa naissance, à travers la coopération avec l'URSS et le camp socialiste (armes lourdes et légères - équipement du génie militaire - aviation et formation des cadres - etc).
2- le financement du chemin de fer Kankan-Bamako dont le Comité militaire a bloqué la réalisation en 1968 par hostilité contre le régime de l’USRDA, contre la Chine et la Guinée de Sékou Touré.
Le Dr Ousmane BA a subi la détention et la déportation arbitraires à Kidal sans jugement pendant 7 ans, dans la dignité (1968 - 1975).
N.B. :
Aujourd’hui 19 octobre 2009, cela fait dix ans que le Mali a vu s’éteindre, le Dr Ousmane BA, après une très longue maladie. En cette douloureuse circonstance, il me semble que le meilleur hommage à lui rendre, consiste à soumettre aux Maliens et à leurs amis à travers le monde, le texte intégral de son dernier discours devant l’Assemblée générale des Nations Unies, en septembre 1968, avant son arrestation à la suite du Coup d’Etat du 19 novembre 68. Ce texte porte la marque du courage politique, de la qualité des analyses, de l’esprit de responsabilité et de précision du langage qui caractérisaient les positions de l’USRDA et du Gouvernement que présidait avec honneur, le camarade Modibo Kéita dont le Dr Ousmane Bâ était le brillant porte-parole.
Amadou Seydou Traoré dit Djikoroni.
DISCOURS DU CAMARADE OUSMANE BA
DEVANT LA 23e ASSEMBLEE GENERALE DE L’ONU.
(septembre 1968)
L'élection de M. Arenales à la présidence de notre assemblée, montre à quel point toute la com¬munauté internationale le tient en haute estime. Le gouvernement du Mali se réjouit sincèrement de cet¬te élection et je suis heureux de m'associer aux hommages qui ont été rendus à notre président par les délégations qui m'ont précédé à cette tribune. Que l'on me permette également de rendre un hommage mérité à son prédécesseur, Son Excellence M. Manescu, Ministre des Affaires Etrangères de Rouma¬nie, qui, grâce à sa compétence, à son autorité et à ses hautes qua¬lités personnelles, a su présider avec tant de distinction et d'efficacité les délibérations de la 22ème session de l'Assemblée Générale.
«Je voudrais enfin féliciter le Swaziland pour son accession à l'indépendance et son admission au sein de notre Organisation. Nous saluons également l'indépendance de la Guinée Equatoriale. En adressant aux peuples de ces deux pays frères nos meilleurs voeux de succès, de prospérité, nous ne doutons pas qu'ils renfor¬ceront la lutte des peuples Afri¬cains au sein de la Communauté.
«Il convient de mettre un ac¬cent tout particulier sur la com¬préhension dont a fait preuve l'Espagne dans l'heureux aboutis¬sement de la décolonisation de la Guinee Equatoriale, en souhaitant que son exemple inspire son voi¬sin, le Portugal, à changer sa po¬litique rétrograde et à courte vue en matière de décolonisation, et à cesser d'être un fossile dans la communauté des nations civilisées.
«Si la délégation du Mali a pré¬féré attendre jusqu'à ce jour pour intervenir dans le débat général devant cette auguste assemblée, c'est par souci de déterminer
- au travers des nombreuses inter¬ventions des dernières semaines, des représentants de pays que nous considérons comme les prin¬cipaux responsables de l'aggrava¬tion de la situation mondiale
- s'il existait encore quelques lueurs d'espoir permettant d'entrevoir l'amorce du règlement des problèmes cruciaux, voire explosifs, que le monde doit affronter et dont la nature n'a fait que se détériorer durant cette dernière année.
Il est temps que les véritables responsables du gouffre qui s'élargit, réagissent.
Au moment où notre distingué Secrétaire général, U Thant, lance un nouveau cri d'alarme, au mo¬ment où certains hommes d'Etats évoquent déjà, la possibilité d'une troisième guerre mondiale, au mo¬ment où le découragement et la lassitude gagnent gouvernements et peuples quant à la capacité de l’Orga¬nisation des Nations Unies, de résoudre les problèmes de la paix, n'étions-nous pas en droit de nous attendre à ce que réagissent, avant qu'il ne soit trop tard, les vérita¬bles responsables du gouffre qui s'élargit chaque jour davantage, entre nous et la réalisation des ob¬jectifs édictés par la Charte des Nations Unies ?
Ne devons-nous pas à l'humanité entière, anxieuse et tourmentée, de lui redonner confiance et foi dans notre détermination de préserver le monde, des horreurs d’une nouvelle conflagration mondiale ?
Est-ce chimérique de voir ceux qui semblent devenir les fossoyeurs de cette organisation, mettre un terme à cette attitude, maintes fois dénoncée et condamnée, qui consiste à verser des larmes de crocodile sur tels événements en évoquant la viola¬tion de la Charte, alors que depuis bientôt 23 ans, le bilan de leur politique est saturé d’agressions contre les droits, la souveraineté et la liberté des peuples ?
Force nous est de reconnaître que les espoirs des peuples sont déçus.. Rien de ce que nous avons entendu à ce jour, du haut de cet¬te tribune, particulièrement de la part de ces puissances et de leurs alliés, n'autorise un brin d'optimisme ; bien au contraire ! Un sentiment général de frustration pè¬se sur cette assemblée. Jamais l'Or¬ganisation des Nations Unies n'est apparue aussi impuissante à ré¬soudre les problèmes de la paix et de la guerre.
Les grandes puis¬sances, préoccupées par la seule défense de leurs intérêts sordides, de leur hégémonie, de leurs sphè¬res d'influence, de leur volonté d'imposer à la majorité que nous sommes, des solutions toutes faites, élaborées en dehors de cette en¬ceinte, sont plus responsables de cette situation que ne l'est la dé¬pendance apeurée des petites na¬tions faibles et instables.
Peut-être le moment est-il ve¬nu de dire certaines vérités, cruel¬les sans doute à certaines oreilles, mais qui n'en reflètent pas moins le désir sincère de la République du Mali, de son gouvernement et de son peuple, de contribuer mo¬destement à la clarification des choses, seul moyen, à notre avis, qui permette d'arracher notre Or¬ganisation à sa torpeur, à son im¬puissance, afin qu’elle devienne le véritable instrument de la paix et de la sécurité que ses fondateurs avaient souhaité qu’elle fût.
C'est dans le Tiers-monde, tout particulièrement en Afrique, en Asie et dans le Moyen-Orient que l'impérialisme et le colonialisme se manifestent dans leur forme la plus brutale
C’est incontestablement dans le Tiers monde, et tout particulièrement en Afrique, dans le Moyen-O¬rient et en Asie, que nous assist¬ons aux "guerres les plus barbares, aux agressions les plus perfides, à la domination et à l'oppression les plus atroces. C'est dans ces régions que l'impérialisme et le colonialisme se manifestent dans leur force la plus brutale. C'est là que les peuples sont soumis à l'occupation étrangère, aux bombarde¬ments monstrueux, à la souffran¬ce, à la misère et à la mort. Qu'il s’agisse du peuple Vietnamien ou du peuple Palestinien, des peuples Africains, de l'Angola, du Mozambi¬que, du Zimbabwe, de l'Afrique Sud, de la Namibie, de la Guinée Bissao, ou des peuples de la République Arabe Unie, de la Syrie et de la Jordanie, c’est la loi de la jungle qui est appliquée et soutenue par les agresseurs impérialistes et leurs alliés.
Et s'il nous faut remonter à la période qui suivit la fin de la Deuxième guerre mondiale, c'est bien aussi en Asie comme en Afrique, au Moyen-Orient comme en Amériq¬ue latine, que la Charte des Na¬tions Unies a été violée tant de fois et par les mêmes puissances, depuis le jour où les premières signatures furent apposées, le 26 juin 1945, à San Francisco. C'est sur ces continents que nous avons connu la guerre coloniale d'Indo¬chine en 1945, d'Algérie en 1954. C’est là aussi où furent perpétrées les agressions contre le peuple Palestinien en 1948, contre l'Egypte et les pays arabes en 1956 et 1967, contre la République Populaire de Chine et la Corée en 1950, contre le Congo, contre Cuba, contre la République Dominicaine en 1965, une dizaine d'années auparavant contre le Guatemala.
Combien d'autres drames, intrigues, complots, coups d'Etat, inspirés et téléguidés ? Combien de guerres de libération nationale, un peu partout dans ces régions du Tiers-Monde où les puissances impérialistes et colonialistes n'ont cessé de renier et de bafouer la Charte de l'Organisation des Natio¬ns Unies, pratiquant des politi¬ques, dictées exclusivement par leurs intérêts égoïstes en vue de maintenir leur domination politique militaire, et économique ?
Vingt cinq années de lutte du Vietnam qui n’ont rien appris, aux tenants d’une démocratie en faillite
La guerre de libération nationale au Vietnam dure pratiquement depuis près de 25 années, 25 années qui semblent n’avoir rien appris à ceux qui cherchent à imposer aux Peuples du Tiers-Monde leur prétendue démocratie en faillite par l'entremise de renégats et de fantoches, la démocratie des bombes et du napalm, des tor¬tures et de la misère. Et pourtant, les années de résistance du peuple vietnamien à ses agresseurs furent des années de gloire et de fierté pour ceux qui sont tombés au champ d'honneur comme des martyrs, et pour tous ceux qui continuent de lever haut l’éten¬dard de la liberté et de la dignité, pour que le Vietnam soit aux Viet¬namiens et que soient boutés dehors, l'agresseur et ses valets de Saigon.
Malgré notre scepticisme, nous avions espéré et souhaité que les conversations de Paris, qui se dé¬roulent depuis le mois d'avril der¬nier, réussissent à amorcer de vé¬ritables négociations en vue de mettre un terme à la guerre sur la base des accords de Genève de 1954.
Mais ni l'impopularité de la politique de Washington dans l'o¬pinion mondiale et américaine, ni la grave division du peuple améri¬cain lui-même, peut-être sans pré¬cédent dans I'histoire moderne des Etats-Unis, ni les pressions considérables exercées par les diri¬geants de la plupart des pays du Monde, ni même les graves boule¬versements que la guerre avait fi¬ni par provoquer dans la vie intérieure américaine, n'ont réussi à modifier les bases mêmes d'une politique discréditée et condamnée par l’écrasante majorité des Peuples du Monde. En refusant de cesser inconditionnellement les bombardements de la République Démocratique du Vietnam, en de-mandant en échange une sorte de réciprocité de la part des combat¬tants Vietnamiens, les dirigeants Américains placent l'agresseur et sa victime sur le même pied d’égalité et de responsabilité, tout comme on voudrait lier les mains des combattants Vietnamiens au cas où les négociations, une fois engagées, n’aboutiraient à rien par suite d’obstacles artificiels placés en travers des pourparlers.
Symptomatique à cet égard - et paradoxale aussi - est la déclaration faite il y a quelques jours - le 12 octobre dernier - ¬par un des partisans les plus acharnés de la poursuite de la guerre du Vietnam qui, parlant à l'Uni¬versité de Pauw, dans l'Etat d'In¬diana, indiquait sans ambages que l'escalade de la guerre ne réussira pas et que le peuple Américain n'accepterait plus de poursuivre une guerre qui lui coûte 30 mil¬liards de dollars et 10 mille vies américaines par an. Il disait :
« La guerre ne peut pas être ga¬gnée par les Etats-Unis. Il n'existe pas de perspective d'une victoire militaire contre le Viet¬nam du Nord, quel que soit le niveau de force militaire, acceptable ou désirable dans notre intérêt ou dans l’intérêt de la paix mondiale... Il y a plus d'Américains qu'il n'en faut au Vietnam et ce qu'ils ne peuvent pas faire ne pourrait pas être fait même en doublant leur nombre... »
Il aura fallu cinq ans à cet éminent personnage pour se rendre à l'évidence, mais au prix de combien de dizaines de milliers de victimes, de destructions et de souffrances inutiles ?
Quoi qu’il en soit, nous savons que pour le peuple Vietnamien debout pour défendre sa patrie et sa dignité, la victoire est au bout du chemin. Et du haut de cette tribune, nous saluons la lutte héroïque du peuple du Nord Vietnam et du Front National de Libération du Sud Vietnam. Nous sommes sûrs que, face à l'agression impérialiste ils bénéficient de la solidarité de tous les peuples épris de paix, de justice et de liberté.
La commission de l'O.N.U. pour l'unification et le relèvement de la Corée : Un outil au service de la politique d'agression des impérialistes
17 années de discussions ne nous ont pas rapprochés des conditions indispensables à l'unifica¬tion de la Corée, encore moins du rétablissement d'une paix durable dans cette partie de l'Asie. La Commission des Nations Unies pour l'Unification et le Relèvement de la Corée, illégalement instituée com¬me on se le rappelle, favorise plu¬tôt l'implantation des troupes d'in-tervention, sous le drapeau de l’ONU, en Corée du Sud. De plus, cet¬te commission, devenue un outil an service de la politique d'agres¬sion des impérialistes, vise à éta¬blir une domination perpétuelle des Etats-Unis en Corée, au mépris des buts et principes de la Charte et en violation flagrante des dispositions de la Convention d'Armistice de Corée.
Mon pays, comme vous le sa¬vez, a depuis longtemps indiqué la voie qui lui parait la seule suscep¬tible de ramener la paix dans cet¬te partie du monde :
- retrait des troupes étrangères ;
- dissolution de la prétendue commission des Na¬tions Unies pour l'unification et le relèvement de la Corée ;
- liberté pour le Peuple Coréen de choisir lui-même, en dehors de toute ingé¬rence étrangère, les voies et moyens de la réunification de sa pa¬trie.
Pour un examen objectif de la question sur laquelle des débats sont déjà instaurés en première commission, notre assemblée doit inviter les représentants des deux parties de la Corée à participer aux discussions.
Le grand pays de Mao Tsé Toung doit avoir une place de choix, à la dimension de son génie créateur
Dans cette enceinte, on a beaucoup parlé de paix et de désarme¬ment, on a beaucoup parlé d'Uni¬versalité. L'universalité est-elle concevable en ignorant un Tiers de l'Humanité, c'est-à-dire 700 Mil¬lions de Chinois que l’ostracisme et l’obstination fanatique de certaines grandes puissances continuent de tenir éloignés de l'Organisation des Nations Unies ? Un peuple immense, presque un continent, avec des possibilités inouïes, qui plus est, est devenu une puissance nucléaire.
Depuis son admission à l'Organisation, ma délégation a défen¬du le rétablissement des droits lé¬gitimes de la République Populai¬re de Chine aux Nations Unies. Sa position n'a pas varié. Au contraire ! Le rétablissement des droits lé¬gitimes de la République Populaire de Chine est plus que jamais d'une impérieuse nécessité. Le grand pays de Mao Tsé Toung, de civilisation plusieurs fois millénaire, qui vient de réaliser victorieusement, sauf dans la province de Taiwan, la plus grande révolution culturelle prolétarienne, la plus grande révolution culturelle de tous les temps, doit avoir parmi nous la place de choix que lui valent ses dimensions humaines, économiques, culturelles, scientifiques et son génie créateur.
Tous les hommes de bon sens, sont intimement convaincus de la nécessité et de l’inévitabilité de l’éviction des représentants de Tchang Kai .Chek. Certains délégués, cependant ont préconisé par machiavélisme la double représentation de la République Populaire de Chine et des fantoches de Formose.
Qu'adviendrait-il s’il était proposé à ceux d’entre eux dont les pays ont connu des changements révolutionnaires d’être représentés par des gens qui ne jouissent plus de la confiance populaire et ont été chassés de leur pays ?
Depuis quand et en vertu de quelle stipulation de la Charte un seul et même Etat jouirait-il d'une double représentation ?
Au Moyen-Orient, après l’agression israélienne du 5 juin 1967, la résolution adoptée à l’unanimité du Conseil de Sécurité le 22 novembre dernier reste lettre morte. Les troupes israéliennes continuent d’occuper de larges territoires de pays indépendants et souverains et tous les efforts méritoires du représentant spécial d’U Thant, l’ambassadeur Jarring, n’ont pas abouti à amorcer un règlement équitable, dont tous les éléments sont contenus dans cette résolution.
Il serait dangereux de se méprendre sur la détermination des Peuples arabes, et palestinien en particulier.
Les raisons de cette intransigeance d’Israël ne sont pas difficiles à déceler. Elles rejoignent en réalité, celles qui ont toujours dicté l’attitude des puissances impérialistes et colonialistes qui, au Viêt-Nam aujourd'hui comme en Afrique et en Amérique Latine, n’ont jamais compris les réalités de la lutte révolutionnaire de notre époque, ni les données objectives qui inspirent et guident les peuples soumis au joug étranger. On se leurre lourdement en croyant que le temps travaille pour l’agresseur, que chaque jour qui passe renforce ses positions et affaiblit celles de sa victime, et que le moment viendra où elle s’accommodera de son état d’assujettissement, et perdra toute volonté dans la défense de ses droits inaliénables en acceptant la soumission au «diktat» imposé.
Il est clair pour nous- que la situation qui règne à l’heure ac¬tuelle au Moyen-Orient ne saurait durer indéfiniment. Que l’on ne se méprenne surtout pas sur la dé¬termination des Peuples arabes dans leur ensemble, et du Peuple Palestinien en particulier, de lutter jusqu'à ce que toutes les séquelles de l'agression soient éliminées et pour que soient reconnus et réalisés leurs «droits » nationaux. Dans le monde entier, sur tous les continents, leurs allies et leurs amis sont nombreux et puissants, et le rêve de ceux qui pensent qu'avec le temps, les Peuples ara¬bes accepteront la volonté de l'a¬gresseur et de ceux qui le sou¬tiennent, est déjà désormais sé-rieusement troublé, tous les jours, par le mouvement de résistance sans cesse mieux organisé et plus efficace.
Si le cessez-le-feu, combien fra¬gile pourtant, est jusqu'ici maintenu, combien de temps pensez-vous que les Peuples arabes patienteront tandis qu'ils voient leurs villes et leurs villages occupés par les forces militaires ennemies, leurs hommes, leurs femmes et leurs enfants souffrir dans leur chair comme dans leur cœur, l’humiliation de la botte étrangère ? Combien de temps encore peuvent-ils tolérer l’intolérable, quels que soient les sacrifices et quelles que soient les conséquences ? Ceux qui ont subi comme nous en Afrique, l’occupa¬tion, la domination, l'oppression et la persécution, se souviennent fort bien de leur état d’âme à l’époque, de leur impatience, mais aussi de leur volonté inébranlable, de faire face à tous les risques pour que triomphe la cause sacrée de la liberté et de l'indépendance.
Tous les jours nous rapportent d’ailleurs les exploits des militants de la résistance dans les régions occupées, une résistance que ni les menaces ni le chantage ne sauraient briser.
C’est un journal que nul ne saurait accuser de préjugés favorables aux pays arabes, le New York Times qui écrivait le 9 juin dernier, à l’occasion d’une série de grèves sur la rive occidentale du Jourdain occupée par Israël sous le titre : «Pas de paix à Jérusalem »
« Cette manifestation d’indépendance et de militantisme parmi les arabes a surpris les Israéliens, qui se posent des questions quant à ses origines.. Pour les Arabes de Jérusalem et de la rive occidentale du Jourdain, ils ont voulu démontrer au Monde leur opposition à l’annexion et à l’occupation de la rive Occidentale. Un leader de la Ville arabe de Jérusalem nous a déclaré : Nous voulons être sûrs que le monde et particulièrement l’ONU sont conscients du fait que Jérusalem n’est pas aussi paisible que les Israéliens le prétendent ! »
Etrange, mais combien touchante et significative cette con¬fiance du Peuple Palestinien dans notre Organisation, alors que celle-ci ne lui réserve que déceptions et désillusions !
Mais fortes de leurs droits et confiantes dans leur avenir, les victim¬es de l’agression du 5 juin 1967 ne resteront pas les bras croisés tandis que leurs adversaires consolident leurs positions et renforcent leur potentiel de guerre. Si la paix doit un jour revenir dans la région, une paix dont les assises ont été jetées par la résolution du 22 novembre dernier, elle devra passer nécessairement par une modification radicale de la mentalité, de l'attitude et de la politique des dirigeants Israéliens, qui doivent savoir que les victoires militaires sont souvent éphémères, que les vaincus d’hier peuvent devenir les vainqueurs de demain et, que ce n’est pas la force brutale et la puissance du fer qui forgent la paix entre les Peuples et les nations, mais la reconnaissance et le respect des droits légiti¬mes des autres, dans, la justice et l’équité. Pour nous, et nous l’avons déjà proclamé du haut de cette tribune, l'évacuation totale et complè¬te de tous les territoires arabes oc¬cupés par Israël et la reconnais¬sance des droits du Peuple Pales¬tinien chassé de sa patrie, consti¬tuent la seule voie susceptible de rétablir la paix dans cette région du monde.
Et pourtant, rien n'a été dit ici par le Ministre Israélien des Affai¬res étrangères ou par les puissan¬ces qui le soutiennent, pas un seul mot, pas une seule phrase qui puisse nous laisser entrevoir une perspective quelconque de pro¬grès dans le règlement du conflit.
Le dernier sommet de l’Organi¬sation 1'Unité Africaine, tenu à Alger au mois de septembre, a ap¬porté son soutien unanime à la Ré¬publique Arabe Unie, pays Africain victime de l'agression israélienne, ainsi qu’aux autres pays arabes oc¬cupés. Il a indiqué clairement que le rétablissement de la paix au Moyen-Orient passe par l'applica¬tion stricte de la résolution du 22 novembre 1967, dont l’élément fon¬damental est l'évacuation des ter¬ritoires occupés par Israël. Par ma voix, le Mali adresse son salut fraternel aux combattants de la liberté en Palestine et à la lutte des Peuples Arabes frères contre l’impérialisme et le néo-colonialisme !
Les protecteurs du régime de Salisbury : le Portugal, l'Afrique du Sud et les capitales Occidentales qui leur apportent toute l’aide qu’ils souhaitent.
Par ailleurs, rien dans ce que nous avons entendu de la part des puissances directement responsables de la perpétuation du colonialisme en Afrique, n'inspire plus le moindre espoir de l’avènement d'une politique nouvelle qui mettrait un terme à la domination et à l'oppression de plusieurs dizaines de millions d'Africains, soumis au joug des racistes Portugais, Rhodésiens, Sud- africains. Certes nous avons entendu la voix de certains porte-parole de ces puissances s'é1ever pour condamner le racisme et pour dénoncer l'apartheid et l'oppression. Mais qu'ont-ils fait pour traduire leurs déclarations dominicales de piété en actes concrets ? Ont-ils cessé leur soutien militaire aux racistes de Pretoria ? Ont-ils interrompu leur aide économique et militaire aux fascistes de Lisbonne ? Ont-ils agi dans cadre de leurs obligations internationales pour éliminer par la force la rébellion de la clique Smith à Salisbury ? Ont-ils ralenti ou supprimé leurs investissements, qui se chiffrent à des milliards de dollars dans cette Afrique Australe, permettant aux régimes de cette région de se consolider et de se perpétuer, mais aussi de menacer l’indépendance de pays africains voisins ? A quoi donc peut, servir la résolution du Conseil de Sécurité du 29 mai dernier, imposant des sanctions obligatoires contre la Rhodésie du Sud, lorsque nous savons tous que le pétrole dont a besoin Salisbury, continuera d'être fourni par Pretoria, que ses forces seront équipées et renforcées par le Portugal et l'Afrique du Sud qui reçoivent toute l’aide qu'ils souhaitent des capitales occidentales sans restrictions ou limitations. On jette, en quelque sorte, à l’opinion mondiale, un os à ronger en votant des sanctions obligatoires contre la Rhodésie du Sud, tandis qu'on développe, d'autre part, des rapports économiques et militaires avec les deux puissances colonialis¬tes qui sont les bailleurs et les pro-tecteurs du régime de Salisbury.
Quelle hypocrisie que cette politique qui consiste à faire des déclarations pieuses, exprimant désapprobation et désaveu du racisme et de l'oppression en Afrique australe, tout en soutenant active¬ment les architectes et les auteurs de ce racisme et de cette oppres¬sion !
Mais, comme au Viêt-Nam et au Moyen-Orient, la résistance des Peuples Africains soumis à la domination coloniale et raciste se dé¬veloppe avec plus d'intensité que jamais. Les mouvements nationalistes ont déjà déclenché une véritable guerre de libération natio¬nale, et c'est par milliers que des patriotes luttent et se sacrifient, les armes à la main, contre les régimes rhodésien, portugais et sud-africain. Et ni l'alliance impie entre Salis¬bury, Pretoria et Lisbonne qui col¬laborent dans la défense de leurs intérêts sordides, ni les plans stratégiques établis par les racistes Vorster et Smith durant la visite de ce dernier à Johannesburg en juillet dernier, et qui comportent des projets d'agression contre la Zambie, ne sauraient fléchir la vo¬lonté inébranlable des patriotes africains de lutter jusqu'à la libéra¬tion totale de leurs nations.
Ce n'est ni par le dialogue avec le régime raciste de Salisbury, ni par des résolutions prévoyant des sanctions partielles ou complètes, facultatives ou obligatoires, que le Royaume-Uni ou les Nations Unies pourront contribuer à résoudre le problème. La responsabilité, totale et exclusive du gouvernement Bri¬tannique doit être pleinement assumée si l’on veut que la crise soit réglée par la voie pacifique et la seu¬le voie qui s'offre à Londres, c’est le recours à la force pour que la do¬mination du peuple Zimbabwéen par les 200.000 racistes de Salisbury soit écrasée. Pour nous, il n'y a pas d'autre solution.
Mais la racine du mal reste à Pretoria et à Lisbonne. C'est cette racine qu'il est indispensable d'ar¬racher, et la première responsabilité de cette tâche incombe aux puissances occidentales industria¬lisées, singulièrement à certains pays membres de 1'OTAN, dont la politique à l’égard de l'Afrique du Sud et du Portugal permet la con¬solidation et le renforcement du défi que ne cessent de nous lancer, ces deux pays qui créent en Afri¬que un danger permanent pour notre sécurité et notre stabilité.
La sécession du Nigeria a été condamnée pour des raisons objectives par les Africains directement intéressés.
La guerre de sécession au Nigeria, qui a fait verser beaucoup d’encre et, dit-on, des larmes dans les pays capitalistes, a donné lieu à beaucoup de battage dans la presse impérialiste inspirée par les officines de subversion. Nous continuons de penser qu’il s'agit d'un problème strictement inté¬rieur de l'Etat fédéral Nigérian. Les jérémiades des uns et les pleurnicheries des philanthropes d'occasion ne changent rien à cet¬te réalité juridique. Il est permis d'épiloguer longuement sur les souffrances et les misères engendrées par la guerre civile qui nous attristent plus que d'autres, enco¬re que nous ne connaissions aucu¬ne guerre qui ait été humaine.
La récente Conférence au som¬met des Chefs d'Etat et de Gouver¬nements de l'OUA, après une analy¬se approfondie de la question, sur la base du rapport du Comité Consultatif composé de Chefs d'Etat intègres et lucides, a adopté à une écrasante majorité une réso¬lution de haute tenue qui, tout en condamnant sans équivoque la sécession, a indiqué de façon concrète les voies et moyens permet¬tant de mettre fin aux hostilités et, par l’amnistie générale, de permet¬tre aux Nigérians, de se retrouver dans la grande famille fédérale de cinquante millions d'habitants qui fait la fierté de tous les Africains par ses riches potentialités humai¬nes et économiques.
Certains qui soutiennent, pour des raisons inavouables, la séces¬sion du prétendu Biafra an nom du principe sacro-saint de l’autodétermination des peuples, ont con¬testé la valeur de la prise de po¬sition de la quasi-unanimité des chefs d'Etats Africains, en excipant de l’universalité des principes hu¬manitaires qu'ils disent être le mo¬bile de leur soutien à la région sécessionniste avec, comme argu¬ment massue, que l'Afrique n'était pas plus habilitée que d'autres pour en traiter. D'accord avec ces bons apôtres pour qu’il n'existe nulle part de chasse gardée. Les responsables Africains que nous sommes sauront s'en souvenir lors¬qu'il s'agira de mouvements sépa¬ratistes et autonomistes, de conflits flamands ou Wallons et autres Québec libre! Car nous savons que le tribalisme à l'état pur exis¬te ailleurs qu'en Afrique, Et par ¬dessus tout, le problème des Ibos, qui vivent avec des millions de ressortissants d'autres ethnies, exhale un fort parfum de pétrole et de minerais avec, comme exci¬pient, une bonne dose d'eau bénite.
Nous en appelons cependant au sens des responsabilités, certaines puissances afin qu'elles cessent leur soutien à une cause perdue. La sécession a été condamnée pour des raisons objec-tives par les Africains directe¬ment intéressés. Toute position contraire, loin de servir les in¬térêts du Nigeria et de l'Afrique, constitue un appui direct aux in¬térêts des monopoles impérialis¬tes et des forces centrifuges hos¬tiles à l'unité et à l'indépendance des Etats Africains.
La carte d'identité de la pauvreté est chose bien connue
Comme il fallait s'y atten¬dre, la vingt-troisième session de l'Assemblée générale de l'Orga-nisation des Nations Unies aura été marquée, à côté de la situa¬tion politique internationale plus que jamais détériorée, par les problèmes non moins brûlants du développement économique et so¬cial. Comment pourrait-il en être autrement, au seuil de la prochai¬ne décennie et après les récents travaux du Conseil Economique et Social, les débats de l'Assemblée annuelle des Organisations de Bretton Woods, et surtout l'échec retentissant de la Deuxième session de la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement?
La majorité des représen¬tants qui m’ont précédé à cette tribune ont amplement dépeint la sombre toile de fond du Monde sous-développé. Je ne voudrais pas revenir sur ce tableau, au ris¬que de l'assombrir davantage. Qu'il s'agisse de la « pauvreté abso¬lue » ou de la « pauvreté relative », la carte d'identité de la pauvreté est chose bien connue : les 50 pour cent environ de la popula¬tion mondiale ne participent que pour un huitième à la production mondiale des biens et ser¬vices ; le produit brut, par habitant, dans la plupart des pays industrialisés, est onze fois supé-rieur à celui qu’il est dans les pays non développés ; la moitié de la population du monde sous-développé vit dans les pays dont la croissance, est inférieure à 3,5% ; enfin les deux tiers de la population mondiale vivent dans les pays dont la production par tête d’habitant est inférieure à 100 dollars par an.
De Genève à Alger, de New Delhi à New York, cette déplorable situation a été maintes fois présentée, analysée sous tous les angles ; mais pour autant, aucun remède digne de ce nom n'y a été apporté, en dépit de l'exactitude du diagnostic.
Dans ces conditions, comment est-il possible que les pays Pauvres accueillent avec enthou-siasme les résultats de la Décennie du Développement qui s'achè¬ve et ne s'interrogent pas, avec quelque inquiétude, sur le sort de la prochaine décennie, même si l'élaboration de cette dernière fait appel au vocabulaire à la fois vigoureux et encourageant de la «Charte de développement», «Stratégie globale», «percée décisive» etc. ?
Ma délégation n'a pas l’intention de faire ici oeuvre de criti¬que stérile et de condamnation facile. S'il est certain que le développement économique et social est un phénomène complexe et divers qui nécessite une action concertée dans un système d'objectifs définis, s'il est éga¬lement vrai que le Programme les Nations Unies pour le Développement, ainsi que les organi¬sations spécialisées de la famille des Nations ont obtenu d’appréciables résultats dans le Tiers Monde, il y’a lieu de révéler que l’actuelle décen¬nie aura été caractérisée sans conteste par le fait que les pays développés ont connu dans le même temps, un taux de croissance jamais égalé, tandis que les pays pauvres attendent de recevoir non pas la manne, mais plutôt une aide réelle, qui corresponde à leurs besoins réels dans le cadre d'une véritable politique de soli¬darité humaine et universelle conformément à la Charte de notre Organisation.
Il faut tirer la leçon de l’échec de la conférence de New Delhi sur le commerce et le développement
Si la République du. Mali a été déçue par la Conférence de New Delhi sur le Commerce et le Développement, elle n'a pas été pour autant surprise par l’éc¬hec de cette rencontre, car nous n'avons pas l'habitude de nous nourrir d'illusions. Dans ce domaine aussi, notre pensée politique repose sur analyse scientifique de la situation internationale, caractérisée par la lutte des classes internationales, qui n'est pas une vue de l'esprit et dont l'examen permet de retenir qu'en l’état actuel de la société capitaliste, appelée par euphémisme la société de con¬sommation, il est impensable que les Nations dites riches, permet¬tent un développement valable et rapide des «Nations prolétaires», car le capitalisme ne veut pas se¬créter ses propres fossoyeurs. L'échec de la conférence de New Delhi sur le commerce et le développement aura en au moins le mérite d’inciter enfin les pays du Tiers-monde à tirer les leçons qui s'imposent.
Telles sont les réalités de la situation mondiale comme nous les comprenons. Telles sont les causes essentielles et fondamen¬tales de la détérioration du climat international, qui suscite les ap¬préhensions légitimes et justi¬fiées de l'humanité entière. Dans cette salle, comme ailleurs au sein des divers organes des Na¬tions Unies, le Mali s'est toujours élevé contre toute violation de la Charte de notre Organisation par les puissances, grandes ou petites ; mais nul ne saurait con¬tester que ces violations sont sur¬tout le fait des puissances impérialistes et colonialistes et de leurs partisans.
Le chemin de la détente est celui de la Charte de l'ONU
De même, le Mali s'est tou¬jours dressé contre la division du monde en blocs ou en sphères d'influence, tout comme il s'est opposé à toute tentative cher¬chant à réserver aux grandes puissances, le soin exclusif de ré¬gler les graves problèmes inter¬nationaux. Si nous avons adhéré loyalement aux Nations Unies, si nous avons signé, en toute bon¬ne foi leur Charte, si nous n'a-vons jamais violé ses principes et ses dispositions, c'est parce que notre peuple a cru et veut continuer de croire dans la mis¬sion et les objectifs des Nations Unies, quelles que soient par ail-leurs leurs défaillances et quelles que soient nos désillusions. C'est aussi parce que nous avions cru que l'ère de la domination et du recours à la force dans le règlement des ques¬tions internationales est révolu, que la paix ne serait pas l’affaire de deux, quatre ou cinq puissances, mais celle de tous les pays du monde et qu'enfin la co¬existence et la détente ne consti¬tuent pas une chasse gardée de Blocs ou de groupes de puissances. Car ni coexistence, ni détente, ni paix mondiales, ne sauraient se développer et s'imposer sur no¬tre terre aussi longtemps que certaines grandes puissances parlent et agissent en termes impérialistes et colonialistes. Nous avons entendu de cette tribune une importante personnalité dire que le chemin de la détente est celui de la Charte de l'O.N.U. Nous sommes les premiers à par¬tager cette opinion, mais nous lui demandons tout simplement, si elle pense honnêtement que c'est précisément ce chemin que son pays et la plupart de ses alliés ont suivi depuis la créa¬tion de cette Organisation, et plus particulièrement à l'égard du Tiers-Monde.
Que certains des moralis¬tes dont nous avons entendu les jérémiades et les «pasqui¬nades ces dernières semaines au sujet des récents événements de Tchecoslovaquie, aient le cou¬rage de se demander en toute conscience quelle a été leur atti¬tude durant ces vingt-trois der¬nières années, lorsque des avions déversaient des milliers de ton¬nes de bombes sur les villes et les populations d'Asie, d'Afrique, du Moyen-Orient et d'Amérique Latine. Où se trouvaient-ils lors¬que le napalm a brûlé les corps des innocents sur nos conti¬nents ? Pourquoi leurs conscien¬ces ne se sont-elles pas révoltées alors ?
Il a été préconisé enfin, pour lutter contre l'impuissance crois¬sante des Nations Unies dans la solution des problèmes de la co¬existence, de la paix et de la guerre, de promouvoir une sorte de Troisième Force internationale qui se situerait à mi-chemin des blocs en présence et dont on ne précise ni les éléments, ni les structures. Pareille conception nous parait utopique et erronée en ce sens qu'elle ne tient pas compte de la réalité de la lutte de classes internationale. On est pour ou contre l’impérialisme et le colonialisme ; on est pour ou contre la paix. Le courant des forces en présence ne s'apprécie pas en fonction d'une conjonc¬tion horizontale de ces forces. Une analyse objective de la situation internationale prouve au contraire une conjonction verti¬cale des forces démocratiques et anti-impérialistes, en ce sens que dans les pays capitalistes et impérialistes existent de puissantes forces révolutionnaires et po-pulaires, dont l’action s'inscrit dans celle des pays anti-impéria¬listes du camp socialiste et du camp de la paix. De sorte que se trouvent en présence, d'une part, des minorités gouvernementales au service des monopoles et les forces de guerre, et de l'autre côté, l'immense majorité des pays de progrès, du socialisme, et de tous les peuples épris de paix et de liberté. Entre les deux, ne peut exister un autre front de lutte contre les forces de réaction et de guerre. Le choix est clair. Il ne saurait au demeurant s'agir des non-alignés, qui n’ont jamais souscrit à être une troisième for¬ce entre deux blocs antagonis¬tes. Les non-alignés qui ont dé¬fini au Caire un programme de paix, se sont engagés à lutter con¬tre l'impérialisme, le colonialis¬me et le néo-colonialisme et à soutenir les mouvements de libé¬ration en Afrique, en Asie et en Amérique Latine. Le président Modibo Kéïta, à la tête du peuple Malien, a toujours indiqué que le non-alignement n'est pas l’équilibrisme.
Le Tiers-Monde, les Peuples de la Tricontinentale doivent se mettre debout
De sorte que, pour lutter con¬tre les violations permanentes et systématiques de la Charte, pour s'opposer à l'impuissance croissante de l'O.N.U., il reste aux représentants des pays épris de paix et de justice, des pays déci¬dés à combattre l’impérialisme et le colonialisme, à s'organiser pour des actions unies, cohéren¬tes et décisives contre les nations grandes ou petites qui ont violé ou violeront la Charte. Les pays représentant les forces de paix et de progrès sont, nul ne peut en douter, la majorité. Pour que cette majorité ait valeur de com¬bat, il appartient aux pays du Tiers-monde, en particulier, de prendre leurs responsabilités, toutes leurs responsabilités, d'ac¬cepter de sacrifier, au besoin, les intérêts de leur politique con¬joncturelle, de résister à l'agres¬sion, d'apprendre à compter d'abord sur eux-mêmes, et de ne considérer l'aide des autres que comme un appoint, de s'engager vaille que vaille, dans la voie de l’édification d'économies nationales indépendantes. C'est à ce prix que, dans la vaste confron¬tation entre les deux seules grandes forces possibles qui se parta¬gent le monde — le camp des forces impérialistes et le camp anti-impérialiste — la majorité réelle et palpable au sein de la communauté internationale, saura l'emporter, parce que les peu¬ples et les forces populaires sont de ce côté-là.
Au récent sommet d'Alger de l'Organisation de l'Unité Africai¬ne, le Président Modibo Keita, faisant allusion à la déclaration d'un grand homme d'Etat, disait : «On ne peut rien faire avec des peuples couchés». Le Tiers-mon¬de, les peuples de la Triconti¬nentale, doivent se mettre debout, debout pour lutter contre l'agres¬sion impérialiste sur les plans politique, économique, social, mi-litaire, se battre résolument con¬tre l'impérialisme monopoliste et mettre fin à ses visées expan-sionnistes. Le jour où la majorité des petites nations que nous som¬mes comprendra et décidera de se battre pour cet impératif ca¬tégorique, l'Organisation des Na¬tions Unies sera sauvée, les peuples auront vaincu.
Docteur Ousmane Bâ
Ministre des Affaires Etrangères
de la République du Mali
Commentaires