Marcus Garvey (1887 - 1940) Architecte du Panafricanisme

CHAPITRE I : LE SOUFFLE

Marcus Mosiah Garvey, dernier enfant d’une famille qui en comptait 11, est né le 17 août 1887 à St Ann’s Bay en Jamaïque en 1887.

Il vit dans des conditions de misères extrême. Si extrême, que l’ensemble de ses frères et sœurs, à l’exception de sa sœur Indiana, mourront en bas âge.

Mais la famille Garvey n’avait pas toujours été pauvre. Son père, un maçon lettré, servait parfois comme avocat et posséda pendant un temps une bibliothèque privée. Et c’est sans aucun doute de lui que Marcus Garvey tint sa passion pour la lecture.

Faute de moyens financiers, M M Garvey est contraint d’abandonner ses études à l’âge de 14 ans pour entrer dans la vie active.

Passionné de lecture, il commence à travailler dans une imprimerie où il s’épanouie rapidement. Très tôt, il obtint de grande responsabilité et un important statut au sein de l’entreprise. L’homme aurait pu s’en tenir là. Mais dèjà se révèle chez lui, une envie de lutter contre l’injustice et l’inégalité. En effet, en 1907, à l’âge de 20 ans, il participe à la première grève des syndicats des imprimeurs jamaïcains qui lui vaut de figurer sur une liste noire puis d’être licencié.

Peu de temps après, il créé un journal : « The Watchman » (« Le veilleur » ou « le gardien ») qui sera le premier d’une longue liste de journaux de plus en plus engagés.

En vue de développer de nouveaux projets et découvrir de nouveaux horizons, Garvey part pour le Costa-Rica en 1909. C’est dans cette région du monde, qu’il fera la douloureuse expérience du racisme et de la ségrégation qui le sensibilisera aux problèmes des Noirs.

Ressentant désormais le besoin de s’informer sur les conditions de vie des noirs dans le monde et ne pouvant se contenter de connaissances théoriques (Garvey étant plus que tout, comme nous le soulignerons plus bas, un homme pragmatique, qui se nourrit de chose concrète et non de seuls idéaux), notre héros décide de visiter l’ensemble des pays où le commerce esclavagiste à mener les hommes noirs arrachés à la terre d’Afrique.

Faisant le tour des Antilles puis de l’Amérique du Sud (Costa-Rica, Nicaragua, Honduras, Colombie et Venezuela), Marcus Mosiah Garvey est frappé par le mépris avec lequel est traité le peuple noir et la condition d’infériorité dans laquelle il est partout maintenu.

Son constat est sans appel : « Partout, le Nègre est marginalisé, maintenu de force au bas de l’échelle sociale de l’humanité, parce que noir. Sans la moindre considération, ni pour ses qualités humaines, ni pour ce qui pourrait être son intelligence ou ses dons. Nulle part, le Nègre ne jouit de la moindre dignité humaine ; partout, il est serf, esclave, "peone" » . Où qu’il aille, les noirs sont toujours dans une position sociale inférieure à celle de tout autres.

De ce constat d’une agressivité permanente et quotidienne envers le peuple noir ; devant cet engagement forcené à le piétiner par tout moyen, Marcus Garvey décide d’engager la lutte.

L’homme (leader naturel) encourage alors les ouvriers noirs à exiger au travers de syndicats, de meilleures conditions de travail et de meilleurs salaires. En homme de communication, le personnage créé dans la foulée, des journaux (« La Nacion » et « La Prensa ») au Costa-Rica et au Panama se faisant l’écho de ses revendications légitimes.

Devant un tel phénomène, le gouvernement Costaricain (voyant en lui un second Toussaint Louverture) s’intéresse rapidement aux activités du Jamaïcain et ne tarde pas à l’expulser du territoire.

Déçu par le peu de retombée de ses efforts, Marcus se résigne à retourner à la Jamaïque. A sa grande surprise, il y est accueilli en héros national. De nombreux Jamaïcains voyant en lui l’homme providentiel. Homme du peuple, homme de misère, homme cultivé et formidable orateur. Voilà comment on pouvait déjà définir le jeune Mosiah Garvey. L’homme qui avait dors et déjà fait entendre sa voix dans la lutte pour l’amélioration des conditions de vie des noirs.

Dopé par ce soutien national et fort de ses idées pro-négristes, en 1912, Garvey se dirige cette fois-ci vers l’Europe, où malheureusement, il fait le même constat : pareillement aux Amériques, le peuple noir est maltraité, exploité et méprisé avec férocité et acharnement.

Encore une fois marqué par la situation d’infériorité dans laquelle ont été placés les Noirs dans le monde, Garvey entreprend alors ce qui sera désormais le combat de sa vie et qui l’occupera jusqu’à son dernier souffle. Celui de relever la tête du peuple noir et de lui redonner sa dignité.

Si pour vivre, il occupe des postes de manutentionnaire dans les ports de Londres et de Liverpools, cela ne l’empêche nullement de trouver le temps de fréquenter les milieux intellectuels panafricanistes. Il y fait notamment la rencontre de Mohammed Ali Duse (figure de proue du panafricanisme de la première heure) qui influencera grandement le devenir de Garvey et qui dirige un journal panafricaniste mensuel : « The African Times and Orient Review » auquel Garvey apportera sa contribution. Cette rencontre, sera une révélation pour Marcus Garvey comme le sera par ailleurs la lecture qu’il fera de l’ouvrage de Booker T. Washington « Up from Slavery » . Car c’est suite à cette lecture que Garvey prendra le parti de se présenter comme un leader du peuple noir.

Fort ce ses convictions, et certain de la nécessité de restituer aux noirs l’estime d’eux-mêmes, perdue par suite de l’esclavage, de la colonisation, du mépris et des insultes quotidiennes, le grand homme comprend très vite que le combat doit se mener sur le terrain international et en particulier celui de l’information et des idées. C’est ainsi qu’il s’engage à encadrer, informer et former tous les groupes ethniques noirs éparpillés dans le monde ; afin qu’ils accèdent les uns et les autres à la conscience non seulement de leur identité communautaire singulière, mais aussi à la place qu’ils occupent, précisément, en tant que Nègres, dans le concert des nations.

Il décide de commencer son action au cœur du pays où il a vu le jour. C’est ainsi que le 17 juin 1914, il quitte l’Angleterre pour retourner en Jamaïque où va véritablement démarrer son action politique.

Garvey fonde ainsi, en 1914, à Kingston en Jamaïque, l’UNIA Universal Negro’s Improvement Association (l’Association Universelle pour le Progrès des Noirs) dont la devise est des plus explicite : « One Aim, One God, One Destiny » (Un seul Dieu, un seul But, un seul Destin).

Association dont le but est de porter le plus loin possible la voix du peuple noir et de lui fournir les armes susceptibles de lui permettre une émancipation intellectuelle et physique, afin d’aboutir à l’établissement d’une nation et d’un gouvernement Noir.

Et le leader charismatique entend bien porter cette voix et ce souffle de dignité aux oreilles de tous nègres, où qu’il puisse se trouver. Très vite, les adhésions se comptent par centaines. Mais Garvey, aux fins de conférer à son message la portée universelle qu’il mérite, quitte la Jamaïque pour un pays qu’il avait déjà visité en 1912 : Les Etats-Unis d’Amérique.

En 1916, Marcus Garvey part pour les Etats-Unis (deuxième pays de déportation du plus grand nombre de noirs après le Brésil) dans lesquels il voit un puissant pôle de communication d’où le message Africaniste et libérateur pourrait trouver un magnifique écho. D’autant que des leaders noirs y font déjà entendre leur voix.

Aux Etats-Unis, Garvey découvre un pays où l’homme noir, se trouve dans la condition la plus misérable qui soit. Plus encore qu’ailleurs, le noir y est piétiné.

[Avant que certains lecteurs ne se soulagent en pensant que la situation des noirs européens était plus enviable, notons à cet égard que cette situation particulière des Etats-Unis a permis plus rapidement la conscientisation des Noirs et leur émergence en tant que force revendicatrice et lobby susceptible de se faire entendre et d’exiger d’être respecté par les autres communautés. Le racisme européen, plus vicieux et pernicieux, faisant croire à une intégration possible, n’a eu pour conséquence, que, d’empêcher toute prise de conscience noire et taire jusque aujourd’hui encore toutes revendications. Absence de revendications qui aujourd’hui, place le peuple noir au dernier banc de pays tel que la France. Quel chemin parcouru entre nos arrière grand-parents et nous ?

Aucun. L’absence d’affirmation forte et claire, d’une communauté noire revendicatrice de représentativité et de respect ne peut nous être d’un grand secours. Il convient d’y remédier.

Pour ceux qui croiraient que nous nous écartons du sujet... ; bien au contraire. Marcus Mosiah Garvey Le Grand, a, par son acharnement et ses convictions, jeté les bases stratégiques de toute lutte nègre. Nous y reviendrons. ]

Décidé à relever ce challenge et à lutter pour l’amélioration des conditions de vie des afro-américains, Garvey (fidèle à lui-même) visite plus d’une trentaine d’Etats américains afin de se rendre compte plus efficacement du mal qu’il devra combattre.

Son premier acte sera d’installer le siège de l’UNIA à New-York afin de faire des Etats-Unis, le pôle central de son action.

Toujours dans la même perspective dynamique et ambitieuse, Garvey ne peut (comme nous l’avons vu) envisager un combat mené à une échelle simplement régionale ou nationale et avait porté dès les début, l’idée d’une lutte internationale. C’est dans cette optique qu’il créé une trentaine de sections de l’UNIA dans le monde dont l’objectif inchangé est de rassembler "Tous les Noirs du monde au sein d’une grande entité et de créer une nation et un gouvernement qui leur soient propres" réuni sous le même slogan : "Un seul Dieu ! Un seul but ! Un seul destin !". Les adhésions affluèrent de partout. En 1921, Garvey estime à 6 millions, le nombre d’adhérents à l’Association Universelle pour le Progrès des Noirs de par le monde.

Garvey polarise immédiatement sur lui, la férocité des Européens (Français, Anglais, Espagnols, Hollandais, Portugais et autres négriers de tout bord) tirant d’énormes profits de l’exploitation du continent Africain et de leurs colonies dont ils suçaient (et sucent encore) jusqu’à plus soif les matières premières et où dans la foulée ils menaient leur fameuse grande mission civilisatrice.

Ils voyaient ainsi d’un mauvais œil ce souffle d’émancipation qui se prétendait international et entendait libérer les nègres de tout pays. Hors partout où ils y avaient ces fameux nègres, on trouvait (et on trouve encore) juste derrière eux, ces fameux civilisateurs pour les exploiter.

Garvey devint rapidement l’homme à abattre. Ce nouveau statut confirma Garvey dans ses idées. Il était sur la bonne voie. Et plus les menaces et les acharnements se multiplièrent et se focalisèrent sur sa personne, plus il persévéra dans son combat pour informer et conscientiser les nègres.

C’est dans ce contexte que naît « The Negro’s World » (« Le Monde Nègre »), journal de l’UNIA, fondé par Garvey en janvier 1919, visant à former et informer les nègres et mettant en avant l’idée d’un peuple noir émancipé et retrouvant ses racines profondes dans le pays d’où il a été déporté de force : l’Afrique. Et où il appartenait à tout nègre de retourner en vue de participer à la construction d’un puissant empire noir.

Distribuant son journal dans l’ensemble du continent Américain (de l’Amérique du Sud à l’Amérique du Nord) et le diffusant en autant de version, qu’il n’existe de langues coloniales (anglais, français, portugais, espagnols et hollandais), le leader noir, faisait ainsi du discours panafricaniste, un discours susceptible de toucher et de libérer les consciences nègre, quelques soit le lieues où elles se trouvèrent. Se faisant de par ce fait, le souffle du panafricanisme.

Garvey devint ainsi la figure la plus charismatique et celle autour de laquelle se rassemblèrent et se réunir un grand nombre de noirs qui face au trop de conformisme et désir d’intégration des leaders de l’époque, ne croyaient plus en l’émergence d’un homme providentiel capable d’impulser à l’ensemble de la communauté, une haute idée d’elle-même et de sa dignité.

L’aura de Garvey ne cessant de croître, ses ennemis et détracteurs (essentiellement blancs mais pas seulement) sombrèrent dans le désespoir le plus total.

Qu’ils fussent européens ou américains, ils voyaient en la figure de Garvey, la fin de l’exploitation organisée des nègres qu’ils avaient savamment mis en place et la menace d’apparition de sérieuses revendications indépendantistes émanant du continent Africain.

Mais quelles sont donc ses idées qui effraient tant :

La vision de Garvey se fonde sur deux principes essentiels :

- Celui de l’unité du peuple noir Où qu’il soit dans le monde ; qu’ils s’agissent des noirs d’Europe, d’Amérique, ou encore ceux né sur le continent Africain, le combat est le même. Celui d’exiger le respect et la dignité de tout un peuple. Cette conscience de soi (et par voie de conséquence de son appartenance à un peuple) passe selon Garvey par l’information et l’éducation. Ce principe d’unité en appel au second.

- Celui du retour vers la terre africaine ancestrale Certain, que l’obtention du respect due au peuple noir, passe par l’établissement d’un peuple puissant économiquement, politiquement, culturellement, etc... et disposant de surcroît de ses propres institutions, écoles, hôpitaux, entreprises... Garvey milite pour un retour en terre d’Afrique.

Il affirme ainsi : « La seule protection contre l’injustice de l’homme, c’est le pouvoir physique, financier, scientifique. » Ou encore : « L’éducation est le moyen par lequel un peuple se prépare pour la création de sa civilisation propre et aussi l’avancement et la gloire de sa propre race. »

Comment, le peuple noir, pourrait-il préparer la création de sa civilisation propre et la gloire de sa propre race, lorsque depuis son plus jeune âge, il étudie des héros, des penseurs, une religion, une histoire etc... qui ne lui appartiennent pas et où il n’existe aucun homme de sa ressemblance ?

Ne croyant pas que les noirs puissent être respectés hors du pays de leurs ancêtres (c’est-à-dire que la reconnaissance de ce peuple, puisse venir d’une puissance qui lui serait extérieure), Garvey, défend l’idée, que l’estime des noirs ne puisse passer que par l’établissement d’un puissant continent Africain dirigé par les noirs pour les noirs et dont la grandeur et la splendeur s’imposerait au monde.

Et c’est pour lui à cette seule condition que le peuple noir retrouvera sa place majeure dans le concert des nations.

Ce que Garvey pose ici comme principe, est simplement l’idée selon laquelle la liberté ne se demande pas ; elle s’impose aux autres comme une vérité indiscutable. Dans cette optique, le retour vers la terre dont nous avons été arraché de force s’avère selon lui une nécessité absolue. C’est "la rédemption par le rapatriement" (redemption trough repatriation).

Ainsi, Garvey affirme : "Tant que la race noire, occupera une place inférieure parmi les races et les nations du monde, celles-ci feront preuve de racisme à son égard." Mais, ajoute-t-i1 aussitôt : "Quand le Noir, de sa propre initiative se haussera de sa condition inférieure au plus haut archétype humain, il pourra enfin cesser de mendier et de supplier, et exiger une place qu’aucun individu, peuple ou nation ne pourra lui refuser". « Soyez autant fiers de votre race aujourd’hui que l’étaient vos pères dans le passé. Nous avons une histoire magnifique, et nous allons en créer une autre dans l’avenir qui étonnera le monde ». A lui également de dire : « Une race sans aucune autorité et sans aucun pouvoir est une race qui ne se respecte pas ».

Ainsi, bien qu’il ne soit pas l’instigateur de l’idée de Panafricanisme, Garvey, parvint par le biais de l’UNIA, à en porter le message dans le monde entier, faisant ainsi souffler un vent de liberté sur la communauté noire. Souffle dont l’intensité redoubla grâce au retentissement et à la diffusion médiatique du journal « The Negro’s World » , qui jeta dans les esprits les bases solides d’un puissant Etat Noir.

Mais Le « Gran nom’ » ne s’arrêta pas là. Non, il ne s’arrêta pas à un aspect purement idéologique. Il s’efforça de mettre en place les conditions matérielles concrètes, favorables à la création de cet Etat Noir indépendant et autosuffisant. Et ce sont bien ces actes si, qui firent de Marcus Mosiah Garvey le véritable architecte du Panafricanisme. Car l’année 1919 (année de création du Journal « The Negro’s World »), fut une année des plus prolifiques pour Marcus Garvey et son mouvement.
CHAPITRE II : L’ARCHITECTE

Dèjà, Marcus Mosiah Garvey, nous montre la voie. En étant l’un des premiers à mettre en avant l’exigence d’un journal noir, permettant d’informer le peuple et de rétablir des vérités sociales et historiques, indispensables pour réveiller la conscience d’hommes oppressés et réduit à l’état de sous-hommes. Et en portant sa lutte sur un plan international, le Grand homme Garvey, nous indique de par son parcours, les aspirations et exigences qui doivent être les notre. A l’époque du « Gran nom’ » comme aujourd’hui, il est évident que l’émancipation intellectuelle, politique, économique et culturelle du peuple noir passe par la maîtrise de son histoire, le contrôle de l’information, et le retour à ses racines africaines ancestrales profondes.

Mais Garvey ne s’arrête pas là. En effet, - et c’est bien une chose qui le distinguera des leaders noirs de l’époque -, Garvey n’est pas homme de théorie. Il n’est pas homme à énoncer de grands et beaux principes sans se préoccuper des modalités de leur mise en application pratique immédiate. Avec le même soin, qu’il prenait, pour se rendre compte, de ses propres yeux, de la misère dans laquelle était plongé les Nègres pour mieux la combattre, Garvey élabore savamment les moyens pratiques permettant l’établissement de ce pays rêvé. Ce pays où le peuple noir renouera avec son glorieux et puissant passé.

En effet, Garvey n’est pas homme à jeter des paroles en l’air. On l’a vu, dès 1919, le grand homme lance le journal « The Negro’s World » édité en plusieurs langues (français, anglais, espagnols et portugais) et distribué dans toute l’Amérique (du Nord, du Sud, ainsi qu’en Amérique Central) mais également en Europe. Journal dans les éditoriaux duquel « il retraçait avec éclat le glorieux passé de la race noire ; il rappelait aux lecteurs la grande intelligence du Nègre, l’héroïsme et l’audace des leaders dans les révoltes d’esclaves, ainsi que la grandeur qui existait jadis sur le Continent de leurs ancêtres. Par-dessus tout, ces textes ne manquaient jamais de rappeler qu’une telle grandeur ne pourrait être restaurée tant que les Noirs ne seraient pas de nouveau maîtres de leur propre destin. »* Le journal, tiré à 200 000 exemplaires environ, circulaient tant bien que mal sous les manteaux et devint en un rien de temps le journal noir le plus diffusé dans le monde.

Mais le grand projet panafricain dont « The Negro’s World » et l’UNIA se font l’écho doit prendre vie.

Garvey déclara ainsi dans les premiers éditoriaux du « Negro’s World » : « L’Afrique doit être libérée, et nous devons tous vouer notre vie, notre énergie et notre sang à cette cause sacrée » .

Il est à noter que Garvey a toujours eu conscience que le pouvoir passait par l’information. Ainsi, en a-t-il fait une priorité absolue de son combat. Dès ses débuts, Mosiah avait manifesté cette volonté obsessionnelle de disposer de ses propres moyens de communications et d’informations sans lesquels toute lutte serait inutile, puisque perdue d’avance dans les médias et dans l’opinion. Voilà pour quels motifs Marcus Garvey consacrera énormément de son temps et de son énergie dans divers journaux. Il en créa en tout et pour tout sept. Cette exigence (s’il est utile de la rappeler), nous devons la faire notre encore aujourd’hui. Cela, tout en sachant que les médiums propices à l’expression de nos idées sont des plus nombreux (journaux, radios, télévision, cinéma, internet...) et qu’aucuns de cela ne doivent être délaissé.

Ainsi, après avoir savamment mit en place un puissant moyen de communication, visant à répandre les idées panafricanistes et à leur donner un écho suffisant, en fin stratège qu’il est, Garvey peut maintenant prétendre avancer ses pions sur l’échiquier mondial et commencer à appréhender les modalités de mise en place d’un véritable Etat Noir.

La même année, le héros panafricain créé la Compagnie Maritime, La « Black Star Line » devenue célèbre et décriée en raison de l’un de ses buts : ramener en Afrique, l’ensemble des noirs américains désireux de retourner aux pays de leurs ancêtres. C’est le projet « Back To Africa » par lequel Garvey exhorte les noirs à retourner en Afrique et à travailler au développement d’un puissant Etat Nègre. Garvey trouvait ainsi par le biais de la Black Star Line, une manière de concrétiser ses idées aux moyens d’une société commerciale. Car si l’information est une arme redoutable, l’argent demeure le nerf de la guerre. Et même si la Black Star Line se conclura par un échec, elle laisse apparaître de par son mode de fonctionnement, non seulement un désir de faire un premier pas vers un Etat Noir indépendant, mais aussi un désir d’autonomie financière.

C’est le 26 juin 1919, qu’une compagnie maritime autonome de l’UNIA est enregistrée à Delaware : « La Black Star Streamship Line LTD ». La Black Star Line n’avait pas uniquement pour objectif de permettre le rapatriement des Noirs américains vers l’Afrique. Le but de cette entreprise était en tout premier lieu de démontrer aux Nègres eux-mêmes qu’ils sont parfaitement aptes à créer et gérer eux-mêmes une Compagnie Maritime. A cette époque, posséder une marine moderne, paraissait pour tout Noir chose complètement impossible et utopique. C’est ainsi que La Black Star Line fascina l’ensemble du monde noir, des Etats-Unis à l’Afrique en passant par l’Europe. Tous regardèrent avec émerveillement cette immense entreprise Nègre dans laquelle ils virent une autre raison d’espoir et de fierté. Mais la société poursuit également un but économique. Le combat mené par Garvey, tout comme le fonctionnement de l’UNIA qui en fait partie, nécessitant des fonds afin de favoriser durablement leurs actions, La Compagnie maritime ne pouvait pas s’offrir le luxe d’être une société désintéressée.

La Black Star Line se présentait donc comme une société commerciale viable, destinée entre autres activités aux transports des marchandises et des personnes.

La compagnie se créée avec un capital de 500 000 dollars, sur une base de 100 000 parts de 5 dollars chacune. Garvey se lance alors dans une impressionnante campagne médiatique, visant à récolter des fonds pour permettre le retour et réunir le plus d’individus possibles autour de lui. Ces interventions permettant par la suite de porter le capital de la société à 10 000 000 de dollars. De nombreux Nègres extrêmement pauvres, purent ainsi pour une somme modeste, devenir actionnaires de la société. Des parts de la compagnie furent même vendues jusqu’en Afrique. Très vite, la société posséda trois cargos lui servant à convoyer ses marchandises, mais aussi à servir le projet « Back to Africa » en ramenant en terre Africaine les Nègres qui en faisaient la demande.

Ainsi, Garvey avait trouvé là, le moyen de matérialiser ses idées par une action durable, financée par les Nègres (les Nègres du petit peuple de surcroît) pour les Nègres.

Partout où ses navires mouillaient l’encre, ils se trouvaient des foules de noirs pour venir les acclamer dans la liesse. Tous venaient voir et saluer ces magnifiques et immenses bâtiments marins dirigés par des Nègres.

Le plan de retour en Afrique et la restauration de la dignité et de la fierté noires, se trouvaient déjà là fort bien engagés.

Se faisant le porte parole de la rédemption par le rapatriement en Afrique, Garvey et l’UNIA qu’il avait impulsé, effrayèrent de toute évidence la classe blanche désireuse de maintenir leur pouvoir sur le peuple noir. Mais pas seulement. Garvey et l’UNIA connurent des détracteurs au sein même de la communauté. La classe moyenne noire croyant fermement que la solution des problèmes raciaux résidait dans la cohabitation intelligente des deux communautés. C’est ainsi que de grands leaders partisans de cette vision des choses, et qui depuis fort longtemps avaient commencé leur campagne de dénigrement du grand héros noir, redoublèrent alors d’efforts pour précipiter sa chute.

Mais notons à ce sujet, qu’il n’a jamais s’agit pour Marcus Garvey de ramener l’ensemble des Afro-américains ou des Nègres en Afrique. Ainsi déclare t-il à ce sujet : « Lutter pour la rédemption de l’Afrique n’implique pas que nous ayons à abandonner nos droits dans nos pays... Cela n’implique pas que nous devions trahir nos pays de naissance, ou leurs gouvernements... Nous pouvons rester des citoyens aussi loyaux que les Irlandais et les Juifs, et continuer à lutter pour la libération de l’Afrique et la totale émancipation de la race Nègre. » Ou encore : « Nous reconnaissons la Constitution des Etats-Unis pour les américains, mais nous nous battons pour une Afrique aux Africains. Nous n’avons nullement l’intention de renvoyer tous les noirs en Afrique... Ceux d’entre nous qui quittent ce pays (les Etats-Unis) pour s’établir en Afrique seront les pionniers, les pèlerins de la nouvelle Nation. Les Nègres sont résolus à faire de l’Afrique une Nation, auprès de laquelle ils pourront trouver aide et soutien, tant moral que matériel, lorsqu’ils sont maltraités et escroqués à cause de leur race. »

Mais s’il s’agissait de retourner en Afrique, encore fallait-il savoir où, comment et quand s’y implanter. Encore une fois, Garvey tenta de mettre en pratique ses convictions. Son regard se porta alors sur le Libéria.

C’était chose tout à fait naturelle. Le Libéria était une République Noire indépendante que les Etats-Unis avaient contribués à créer le 26 juillet 1847. L’Afrique étant partagée entre des puissances européennes dont les plus dangereuses, les plus négrophobes et les plus criminelles n’étaient autres que la France et l’Angleterre. Il s’avérait donc difficile au vu d’un tel contexte, que l’implantation de noirs aux revendications indépendantistes et autonomistes soit permise par ces puissances européennes. Mais, du fait du statut particulier du Libéria, Garvey crut que la proximité de cet Etat Noir avec le gouvernement américain qui avait contribué à sa création, lui offrait de fait une protection contre les Etats Européens (France et Angleterre en premier lieu) qui profitaient abondamment de l’exploitation du continent mère et voyaient d’un mauvais œil toute tentative d’autonomie.

Dès 1920, Garvey envoie des émissaires rencontrer les hauts responsables Libériens et prospecter le pays afin d’établir les modalités d’installation des premiers africains de la diaspora qui reviendraient sur la terre de leurs ancêtres. Le projet de « recolonisation » de l’Afrique par ces africains expatriés enchante les responsables locaux qui l’encouragent vivement. En 1921, l’UNIA installe symboliquement une ambassade à Monrovia (capitale du Libéria) et envoie la même année une équipe d’experts et de techniciens afin de négocier les modalités d’insertion concrète des futurs colons en provenance de la diaspora. Cap Palmas est choisi comme premier site de recolonisation. Le président du Libéria lui-même C.B.D King, nomme un comité afin d’aider et soutenir l’UNIA dans l’élaboration du projet et offre même à l’association un terrain d’essai de 200 hectares.

Une scierie, et de nombreux matériaux destinés à la construction de la ville d’implantation des futurs colons arrivent ainsi au Libéria. Quant aux cargos chargés du transport des futurs colons, ils sont eux aussi déjà prêts.

Ainsi, les propos de Garvey ne tenaient pas du discours rêveur et utopique. Il s’agissait de réalisations concrètes.

Mais revenant sur cette année si prolifique de 1919. Continuant sur sa lancée, Marcus Garvey fonde en août de cette année (1919), La « Negro Factories Corporation » dont le but est de créer de nombreuses entreprises dirigées et gérées par des noirs dans les grands centres industriels des Etats-Unis, d’Amérique Centrale et d’Afrique. Connaissant les pensées Garveyistes, partisanes d’une autosuffisance économique, politique, scientifique, religieuse..., cette corporation s’inscrit en droite ligne du combat politique prôné par le grand homme. La « Negro Factories Corporation » permettra ainsi la création de « chaînes de magasins d’alimentation, de restaurants, de teinturerie, d’ateliers de confection, de magasins de mode, de fabriques de chapeaux, de fabriques de poupées noires, de blanchisseries, d’hôtels, de maisons d’éditions... »* Entre 1920 et 1924, l’UNIA et ses filiales auraient vraisemblablement employés quelques milliers de personnes.

Notons qu’après avoir mis en place une véritable Marine Nègre au travers de la Black Star Line, Garvey mit en place les jalons d’un Etat Panafricain et de son armée. Il le fit au travers de la première convention de l’UNIA qui eut lieu le 1er août 1920 à New York. La Convention rassembla des milliers de délégués du monde entier représentant la grande et puissante nation Nègre contemplée. Nation qui ne peut aller sans un corps armé constitué. Ainsi, devant des dizaines de milliers de personnes, d’importantes troupes défilèrent au pas cadencé. « Il y avait là la Légion d’Afrique dans sa tenue bleue foncée, aux pantalons à raies rouges avec l’épée pour les officiers ; il y avaient là les Infirmières de la Croix Noire ; « l’Universal Africa Motor Corps » ; « le Black Eagle Flying Corps » (Corps d’Aviation de l’Aigle Noir ») ; il y avait là les chœurs et les troupes spéciales des jeunes réservistes ». *

Garvey alla même jusqu’à établir la noblesse du futur Etat Noir, parmi lesquels on pourrait citer le Duc du Nil, le Comte du Congo, le Vicomte du Niger, le Baron du Zambèze... On mit en place une véritable administration avec ses hauts conseils, ses juridictions et son exécutif, on adopta un drapeau (celui de l’UNIA), on composa même un hymne national (Ethiopie, toit terre de nos ancêtres), on rédigea et on adopta une « déclaration des droits des peuples noirs dans le Monde » et Marcus Mosiah Garvey fut élu Président Intérimaire de l’Afrique.

Les bases d’un Etat Africain étaient jetées.

Tels furent entre de nombreux autres plus modestes, les plus grands projets de Marcus Garvey. Cette volonté sans cesse affirmée de concrétiser ses idées, faisant du panafricanisme non plus un simple idéal, mais un monument (un monument pour lequel chacun doit venir poser sa pierre) fit de Marcus Garvey le véritable architecte du panafricanisme. Car non content d’avoir fait souffler sur le monde un parfum de dignité Nègre en véhiculant partout l’idée et le concept de l’unité africaine, non content d’en avoir dessiné les plans, Garvey fut encore celui qui en posa les premières pierres. Et celles qu’il déposa furent nombreuses. Mais encore plus nombreux furent ceux qui s’acharnèrent à détruire ce que l’homme avait bâti.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

HYMNE DES PIONNIERS DU MALI.

DISCOURS DU CAMARADE OUSMANE BA DEVANT LA 23e ASSEMBLEE GENERALE DE L’ONU. (septembre 1968).