Amadou Djicoroni, ex compagnon de feu Modibo Keita : « Le cinquantenaire du Mali, c’est 8 ans d’indépendance et 42 ans de colonisation ».

Amadou Seydou Traoré que nous avons rencontré le 17 janvier passé, dans ses bureaux à Oulofobougou -Bolibana, parle avec enthousiasme de l'histoire de notre pays. Notamment la période coloniale, celle qui a vu le parti Union Soudanaise RDA de feu Modibo Keita arracher de haute lutte l'indépendance du Mali.





A notre question quel regard porte-t-il sur les festivités du cinquantenaire du Mali qui s'annoncent grandioses, il marque, d'abord, une pause. Nous avons cru, une seconde, que le « vieux lion » allait nous envoyer balader. Mais il nous répond, sèchement : « Quelque chose me gène dans cette célébration ».



Notre question l'avait, certainement, fait revenir plusieurs décennies en arrière : « Quelque chose me gène dans cette célébration, dit-il, parce que la France y est mêlée de façon révoltante. Que la France joue un rôle de coordination des cinquantenaires des Etats francophones d'Afrique, on ne peut que comprendre l'aspect insultant... ».



« Le plus grand génocide dans l'histoire des peuples »



En fait, en venant voir « Le Vieux » Amadou, nous avions déjà le même sentiment de gène en ce qui concerne l'implication de la France dans l'organisation des cinquantenaires des Etats francophones d'Afrique, bien que n'ayant pas connu, nous jeunes, les affres de la colonisation. Selon Amadou Seydou Traoré, l'indépendance du Mali a été proclamée à l'issue de luttes, pour le moins, sanglantes. « Il faut penser aux hécatombes de la guerre de pénétration. Selon les documents français, le Soudan comptait, avant la pénétration coloniale, 100 millions d'habitants. Et à la fin de la guerre d'invasion, il n'en a resté que 3 à 4 millions d'habitants... ». Plus de 90 millions de soudanais seraient tués lors de la pénétration française. Ce que Amadou Seydou Traoré qualifie de «plus grand génocide dans l'histoire des peuples ».



Cette période, selon le « Doyen », fut suivie de plusieurs années de colonisation dont les caractéristiques principales sont : l'oppression politique, l'exploitation économique, le génocide culturel, le démantèlement systématique des structures sociales, le pillage du patrimoine culturel... C'est au bout de tout cela, dit -il, que le peuple malien s'est organisé pour reprendre la lutte « politique » qui a abouti à sa libération dans des conditions dramatiques. Surtout après la rupture de tous les liens avec la France. Il y eu la rupture du chemin de fer Dakar- Niger, le boycott économique et le sabotage de toutes les actions tendant à la libération du peuple malien. « Comment après tout cela, la France peut-elle faire irruption dans la célébration de notre victoire, et de sa défaite historique ! », s'interroge le « Vieux » Amadou.



Seulement voilà ! Pour poursuivre et assurer sa domination, la France n'a pas à rougir devant le passé. Encore que, ce passé est celui des « nègres ». Au congrès de l'Union Soudanaise RDA, le 22 septembre 1960, Idrissa Diarra, Secrétaire Politique du parti, disait : « Sous la pression des évènements, la ligne politique française s'est infléchie en surface, mais en profondeur, elle a gardé les mêmes intentions : maintenir sa domination en Afrique dans tous les domaines. La seule différence, avec le passé, consiste en ce qu'elle est obligée actuellement d'en confier l'application à des Africains... ».



Sur les 50 ans, le Mali n'a vécu véritablement que 8 ans d'indépendance, nous confie Amadou Seydou Traoré. « 8 ans d'indépendance et 42 ans de colonisation ».

Nous avons alors demandé au Doyen de préciser sa pensée. Il répond en disant que si nous n'étions pas à mesure de savoir quels étaient ces 8 ans d'indépendance du Mali, il valait mieux arrêter la conversation. Alors, je vous écrit ici que les 8 ans d'indépendance du Mali, dans la conception du Soudanais bon teint, correspondent à la période du 22 septembre 1960, date à laquelle le peuple malien, sous l'impulsion du parti Union Soudanaise RDA et de ses leaders, proclamèrent l'indépendance et la souveraineté du Mali, au 19 novembre 1698, jour du coup d'Etat militaire de la « bande des 14 ». A leur tête un certain Lieutenant Moussa Traoré.



« Le Mali est indépendant, mais pas souverain »



Le 22 septembre 1960, le Mali affirme son indépendance et sa souveraineté. Modibo Keita, Secrétaire Général de l'US RDA, lors du congrès de l'US - RDA s'adresse aux participants par ces termes : « Dans un monde, de plus en plus, tourmenté où la légalité n'apparaît qu'à travers les intérêts stricts des pays, la lutte pour nous devra s'engager sur le plan politique. C'est la raison pour laquelle nous vous invitons à autoriser l'Assemblée législative : 1) A appréhender les compétences transférées par la République Soudanaise à la Fédération du Mali ; 2) A proclamer comme Etat indépendant et souverain la République Soudanaise ; 3) A proclamer que la République Soudanaise s'appelle République du Mali, libre de tous engagements et liens politiques vis-à-vis de la France, comme la Haute-Volta, la Côte-d'Ivoire, le Niger, le Dahomey. C'est la conséquence de la caducité des accords franco-maliens que la France a délibérément violés en reconnaissant la République du Sénégal comme Etat indépendant. Notification de ces décisions sera faite au Gouvernement Français, à l'Organisation des Nations Unies et à tous les pays indépendants... »

Dès ce jour, le gouvernement malien a œuvré pour mettre sur place des institutions républicaines, créer un cadre idéal de travail pour les Maliens, à faire en sorte que le Mali puisse assurer son autosuffisance alimentaire, son indépendance économique (par la création d'une monnaie nationale (le franc malien) et la création d'unités industrielles), son indépendance militaire, culturelle et sociale.



Le coup d'Etat du 19 novembre 1968, contre le régime de Modibo Keita, tout comme celui de la nuit du 19 au 20 août 1960 perpétré par la France contre les dirigeants de la Fédération du Mali, ont été, tous les deux, perçus par beaucoup de « Soudanais » comme un frein à la marche du peuple malien vers son indépendance totale. Mais surtout, vers sa souveraineté nationale. Au lendemain du coup d'Etat militaire du 19 novembre 1968, un membre de la bande des « 14 », notamment le Capitaine Yoro Diakité, se serait rendu en France, avec ce discours à la bouche : « Nous sommes venus dire à la France que désormais plus aucune affaire malienne ne sera gérée, sans la France ».



Le Mali a, pour autant, perdu sa souveraineté ? Tout porte à le croire. Amadou Seydou Traoré estime que le Mali est indépendant, parce qu'il dispose d'institutions qui fonctionnent. Mais il est loin d'être souverain, parce que rien ne se décide, ici, sans l'implication de la France. Et la France, dit-il, a toujours son mot à dire. Le président de l'Assemblée Nationale de la Côte d'Ivoire a dit, un jour, que même les projets des conseils de ministres africains sont faxés à la France pour approbation. Ayant perdu notre indépendance monétaire (le Mali réintègre la zone Franc et le FCFA en 1984), les Maliens, tout comme beaucoup d'autres Africains, sont, aujourd'hui, obligés de se plier aux exigences de la France. Or, pour le président Modibo Keita, un Etat ne peut affirmer sa souveraineté que lorsqu'il dispose de sa propre monnaie. En s'adressant à l'Assemblée Nationale, le 30 juin 1962, il expliquait le sens de sa décision de créer le Franc malien : « ... Dans quelques heures, exactement à zéro heure, le 1er juillet 1962, la République du Mali disposera de sa monnaie nationale, le franc malien, ayant seul, désormais, cours légal et pouvoir libératoire illimité sur l'étendue du territoire national...L'histoire nous enseigne que le pouvoir politique s'accompagne toujours et nécessairement du droit régalien de battre sa monnaie ; que le pouvoir monétaire est inséparable de la souveraineté nationale ; qu'il en est le complément indispensable, l'attribut essentiel. Pouvoir politique et pouvoir monétaire ne sont donc, à vrai dire, que les aspects complémentaires d'une seule et même réalité : la souveraineté nationale ».



Et notre interlocuteur de déplorer, avec un brin de nostalgie dans la voix « Il nous manque aujourd'hui la volonté politique pour nous défaire des pactes (néocolonialistes) signés avec la France ». Selon lui, on peut célébrer les 50 ans de notre indépendance. « Mais il faut restituer la vérité historique ». Aussi, il trouve qu'il y a trop de folklore autour de ce cinquantenaire. Or, dit-il, on ne doit pas s'amuser avec l'histoire d'un peuple. « C'est un acte d'auto - humiliation de la part des autorités maliennes » de vouloir célébrer le cinquantenaire dans ces conditions, où la France fait office de chef d'orchestre. L'artiste chanteur Ivoirien Tiken Jah Fakoly, disait que « c'est une honte d'organiser de telles manifestations. En 50 ans d'indépendance, nous n'avons enregistré aucun résultat positif ».



Si selon les autorités maliennes, ce cinquantenaire est une occasion de forger la mémoire collective par des témoignages et hommages aux héros de l'indépendance, il n'en demeure pas moins que pour le peuple, celui qui a faim en ce 21ème siècle, ce cinquantenaire doit être un moment propice à une remise en cause. « Force est de reconnaître que beaucoup d'aspects de la vie socio- économique de notre pays restent, fortement tributaires de l'occident » a-t-il conclu.

Rodrigue le Canard déchaîné

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